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DAFT PUNK
“Epilogue”

ELECTRAUMA

Par définition, l’Epilogue viral des Daft Punk serait donc cette toute dernière partie venue parachever leur projet voire l’ensemble de leur œuvre en lui-même déjà complet. Un final artistique et cryptique, mis en scène sans communication exploratoire, mais sûrement pas sorti de nulle part. D’ailleurs, l’idée, l’image des deux robots se séparant (de la fusion de leur duo, d’un monde devenu binaire) émergent déjà dans nos mémoires tandis que les Daft Punk, certainement déjà à la conquête d’un nouvel espace, s’effacent derrière leurs disques. Dur de ne pas croire à présent, passé le vague à l’âme, que la réalité a dépassé la science-fiction.

10 novembre 1993. The New Wave est le premier single des Daft Punk, prêt à déferler sur le globe grâce au label Soma Quality Recordings. Après la séparation de Darlin’, leur précédent groupe de rock indie abîmé par la critique du Melody Maker, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo surfent sur un autre courant, plus house, récemment né dans les raves ou les clubs près de chez eux et rapidement reconnu outre-Atlantique sous l’appellation French Touch. Bientôt éclipsés par d’emblématiques casques futuristes, les deux visages les plus connus, familiers, de cette génération de productions électro, n’ont alors pas encore idée de la force de contagion de leur musique.

22 février 2021. La nouvelle vague de la pandémie qui sévit depuis un an déjà sur la Terre condamne toujours l’Homme à se fermer au monde extérieur sinon à porter un masque afin de se protéger d’un virus désormais omniprésent dans sa réalité. Dans le même temps, la NASA, dans son infinie recherche spatiale et son exploration continue du système solaire, dévoile à la face du monde les premiers enregistrements vidéo et audio capturés par l’astromobile Perseverance. Soit un montage d’images des « sept minutes de terreur » que compose à elle seule la phase EDL (Entry, Descent, Landing) du véhicule et surtout le son inédit d’« une brise martienne […] audible pendant quelques secondes », qui décrivent un nouveau chapitre pour l’Histoire – avant même que le rover ne débute sa mission : découvrir les signes d’une vie microbienne passée sur le sol aride de la Planète Rouge…
Ce même jour, les Daft Punk diffusent un clip qui semble, bien malgré lui, faire écho à l’actualité, et, viral, se propage, se transmet rapidement sur les réseaux : il s’agit en fait d’un extrait de la fin, poignante, de leur film expérimental Electroma (Daft Arts, 2006), habillé d’une poignée de notes à la grâce palpable et des chœurs célestes de Touch, paru sur leur dernier album en date, Random Access Memories (Daft Life Ltd / Columbia, 2013). Ces sept autres minutes de peur collective, littéralement intitulées Epilogue, renferment et révèlent également une illustration de Warren Fu (réalisateur et directeur artistique), insérée là comme un intertitre dans un muet pour apporter un complément d’information : elle affiche sans équivoque les années de création et de cessation du duo, couronnées par la figure pyramidale, symbole de stabilité et d’éternité, formée par les deux mains gantées, une ultime fois réunies…

Les morceaux choisis de/par Thomas et Guy-Man, qui ne s’en remettent jamais aux événements, donnent à voir leurs doubles androïdes, héros d’un drame silencieux et finalement prémonitoire, disparaître dans le désert californien – l’un dans une explosion programmée, l’autre ici sous les feux lointains du couchant – ; ils donnent aussi à entendre les paroles amoureuses (« Hold on / If love is the answer, you’re home ») mais désincarnées de Touch – signées par Paul Williams, principal interprète de Phantom of the Paradise (Harbor Productions, 1974), long métrage musical culte de Brian De Palma et matrice fondamentale de l’univers des Daft Punk –, dont le titre résonne, seul, comme une allusion au passé, aux prémices (du couple d’artistes) voire aux préliminaires (sensations et affections desquelles le monde actuel est dépossédé). Lorsque, dans son entièreté, cet échantillon de RAM renvoie aussi à la genèse même du disque – qu’exprimerait un robot ayant accès à des souvenirs humains ? –, le plus organique de toute l’électro (parce qu’enregistré dans des conditions live et mixé en analogique), et qui conclut l’œuvre exceptionnel des Daft Punk.
D’ailleurs, au terme définitif de quatre albums et à ce chapitre vidéo final répond parfaitement un titre évocateur : Contact, dans lequel la notion de relation, de rapport à l’Autre va de pair tant avec la voix samplée du dernier homme à avoir marché sur la Lune, Captain Eugene Cernan, qu’avec cette déflagration sonore, laquelle, selon les journalistes britanniques du NME (New Musical Express), s’apparente à celle d’« une énorme pyramide […] dans l’espace » (en référence aux design et light show de la pharaonique tournée Alive 2006/2007) et, d’après DJ Falcon – co-auteur et -producteur du titre, mais aussi aux manettes du tandem Together avec Thomas Bangalter –, qui eut la primeur d’une session d’écoute privée, causa véritablement l’explosion des enceintes dans le home studio des Daft Punk.

« Atterrir sur Mars, c’est une vague de tension, de drame et de bruit », rapportait le rover Perseverance depuis le cratère Jezero, site d’un ancien delta fluvial qui pourrait avoir conservé et nous faire revivre l’histoire de son passé.
On apprécierait, pareillement, pouvoir mettre nos deux robots en circuit fermé : revenir indéfiniment aux origines des Daft Punk afin de toujours mieux recevoir leur Epilogue – ou brûler les étapes et, de son début à l’identité vocodée remarquable jusqu’à l’échauffement mécanique fatal de son rythme, ne se passer en boucle que The Prime Time of Your Life, possible abrégé ou signe annonciateur ou prologue tiré du bien nommé Human After All (Daft Life / Virgin, 2005). Et l’on se prend, dès à présent, à espérer un retour de flamme, à l’instar d’un phœnix – un nom commun mais clé, à la base du monument, et qui soufflerait possiblement une ouverture d’esprit sur la carrière des Daft Punk : Phoenix, n’est-ce pas le nom du groupe versaillais qu’intégrait en 1995 le guitariste Laurent Brancowitz après avoir quitté Darlin’ et que les Daft Punk rejoindront sur la scène du Madison Square Garden de New York en 2010 pour ce qui sera leur dernière apparition en concert ; le prénom du beau et talentueux personnage féminin (joué par Jessica Harper), au cœur d’un triangle dramatique et de la « rivalité » entre les deux héros de Phantom of the Paradise ; le titre d’une piste dissimulée derrière les retentissements du premier album, Homework (Virgin Records, 1997) ; enfin, cette déclaration au début des paroles messagères de leur plus grand succès, Get Lucky, sur RAM, l’opus de toutes les récompenses (dont cinq Grammy Awards) : « Like the legend of the phoenix / All ends with beginnings / What keeps the planet spinning / The force from the beginning / We’ve come too far / To give up who we are » ?
Depuis l’espace, en digne successeur de la sonde Phoenix, première mission à remplir brillamment tous ses objectifs – parmi lesquels l’analyse des échantillons du sol et de l’atmosphère martiens –, Perseverance poursuivait ainsi : « Puis, quand la poussière se dissipe : tranquillité et grandeur. »
Alors, on aimerait, également, retrouver le calme après le buzz et la tempête provoqués par ce grain de sable dans les machines, ce virus informatif instillé volontairement au système nerveux ou à l’intelligence artificielle des Daft Punk ; qu’à la suite de cet émouvant Epilogue, (pour) toujours entouré de mystère, Guy-Man et Thomas, l’un avec ou sans l’autre, embrassent un vaste horizon (comme leur bonus track sur une version de RAM seulement destinée au pays du Soleil-Levant) et que leurs génie et projets (musicaux, cinématographiques) s’étendent, se réalisent, jusqu’au-delà de ses confins ; que la réponse à ce terrible blast soit celle dont les deux robots, impassibles sphinx, garderont le secret.

Mickaël Pagano, 2021

© PHOTOS : DR, ALTERIAN INC., CHAD BATKA, DAFT LIFE LTD., NABIL ELDERKIN,
WARREN FU, SEB JANIAK, PATRICK MESSINA, ÉRIC PÉREZ, WALT DISNEY PICTURES

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