Sélectionner une page

Ouvrir des horizons

NATAS LOVES YOU
« The 8th Continent »

« We are from all over the place. » Les origines comme les influences de Natas Loves You sont éclectiques, cosmopolites. À l’image d’un Ulysse des temps modernes en quête de chaleur humaine dans notre monde désenchanté – possible héros de leur premier album, The 8th Continent –, la power pop du quintet fait l’amour au voyage initiatique et la guerre à l’étroit d’esprit. Pour en découdre avec les lieux communs et enfin composer son odyssée dans notre paysage musical.

Discotexte : En guise de présentation, que doit-on retenir de l’aventure du groupe, de sa genèse en 2008 jusqu’à la sortie du premier album, The 8th Continent (Cinq7 / Wagram Music), en 2014 ?

Virgile Arndt  : Que dire ? En 2008, on habitait un peu partout en Europe, et on s’est tous rencontrés au Luxembourg, où Alain vivait. C’est là qu’on a enregistré notre premier EP [From Natas With Love (2009), ndlr]. On a vite bougé à Paris, où on a fait un deuxième EP [Paintings (2011), ndlr]. Et puis, à un moment, on a été contactés par un label. Ça s’est enchaîné comme ça…

Sans faire de démarches pour vous faire connaître ?

Virgile : Il s’était déjà passé plein de trucs pour nous : on était passé en radio, on avait fait beaucoup de scène… Donc on s’est dit : « Ben, c’est quoi, la prochaine étape ? » Et on est tombés dans la logique de partir dans une capitale européenne. Paris s’est imposée par hasard. Peut-être parce que c’était le plus simple pour nous : je suis né à Paris, j’ai des amis là-bas depuis toujours – pareil pour P-H. C’était l’endroit logique pour aller faire nos études.
Pierre-Hadrien Trigano  : On était totalement à la rue. On ne savait pas comment procéder. On voulait juste faire de la musique, on avait formé un groupe, et on s’est dit : « Putain, vas-y mec, je le sens bien… » On avait une certaine confiance en ce qu’on faisait, je pense. Une confiance assez naïve, d’ailleurs, dans la musique.
Alain Schuman  : On avait cette énergie très innocente. On a passé nos deux premières années à Paris à faire des open-mic’. Ça peut paraître bizarre, mais, rétrospectivement, on se dit que c’était un bon apprentissage, une bonne expérience : ça nous a forgés, durcis. On a vu que c’était peut-être plus difficile qu’on le pensait. Et donc, il y a des moments où on a… – « struggle » ?
Pierre-Hadrien : On a « perdu des plumes ».
Virgile : En arrivant à Paris, c’était : « Ici, c’est simple : personne nous connaît, et on connaît personne ». Et puis on a fini par rencontrer des gens…
Alain : Et après, tout s’est mis en ordre.

Et percer au Luxembourg, c’était impossible ?

Pierre-Hadrien : Oui, tout simplement parce qu’au Luxembourg, il n’y avait aucune possibilité de faire de la musique. Et en ayant fait le parcours que j’ai fait ensuite, découvert la musique « professionnelle » en France, je me rends compte que je n’avais aucune idée de ce que c’était, à l’époque. Et puis je pense qu’on avait besoin de bouger : le Luxembourg, c’était juste une terre d’accueil pendant notre adolescence – sauf pour Alain, qui est né là-bas.
Virgile : Alors Paris, c’était aussi : « On revient à la maison »
Pierre-Hadrien : Virgile et moi, on est la partie française du groupe – même si Virgile est moitié américain. Et tous les groupes de France, à un moment ou à un autre, viennent à Paris : regarde les mecs de La Femme, les mecs de Moodoïd, ils sont tous venus à Paris.
Virgile : Aux États-Unis, c’est beaucoup plus décentralisé : il y a New York, Los Angeles, Seattle, Detroit… Mais en France, c’est Paris. Et pas seulement pour la musique et les arts : pour tout. On a une culture hyper centralisée : tout transite par Paris.

Avec la sortie du premier album, vous sortez enfin d’une certaine galère…

Pierre-Hadrien : Non, ce n’était pas la galère. Je ne suis pas d’accord avec ce terme. On s’est vraiment, mais vraiment pris la tête pendant quelques années lorsqu’on a écrit cet album. On a peut-être un petit peu trop écouté Pet Sounds des Beach Boys…
Virgile : On a eu le syndrome Brian Wilson !
Pierre-Hadrien : La musique, c’est un apprentissage un peu particulier puisqu’il n’y a pas vraiment d’école pour faire ça, c’est aussi beaucoup de compétitions. Mais ce n’est pas compliqué pour autant. Si tu veux vraiment faire de la musique, tu feras de la musique. Oui, j’ai envie de dire ça aux gens : « Juste, faites de la musique. Et à un moment, vous y arriverez. » Personnellement, j’ai quelques « grands frères » dans la musique – Jérôme Laperruque, Kim Giani, Cyril Taïeb et Fred Baus –, qui ont dix ans de plus que nous mais qui ont toujours cru en nous et qui ont voulu nous aider. Et ces gens, ils ont été super importants pour nous parce qu’à un moment, ils nous ont permis d’y croire. Et quand t’es jeune, c’est important d’avoir un exemple de personne plus âgée qui te reconnaît et qui te dit : « T’inquiète, mec, tu peux le faire ! »

Il s’agit aussi de croire en soi.

Pierre-Hadrien : Absolument. Après, il faut se donner les moyens.

Et du temps.

Pierre-Hadrien : Ouais. On a sacrifié trois, quatre ans de notre vie. Mais au final, c’est plutôt cool.
Virgile : On joue dans des groupes depuis qu’on a 13, 14 ans : ça fait longtemps qu’on sait qu’on veut faire de la musique. Tout le monde nous a toujours dit : « C’est dur, tu sais ? » Et on a toujours répondu : « Ouais, ouais, je sais. Mais c’est pas grave. » Et jusqu’à il y a encore très peu de temps, je crois qu’on n’avait pas très bien réalisé à quel point c’était vrai ! C’est un métier – et j’en parle comme si je connaissais tout, alors que ça fait même pas deux mois que j’en vis vraiment ! –, un métier difficile dans le sens où c’est fatiguant. Les tournées, c’est génial, mais quand tu fais 2000 kilomètres en quatre jours, au bout d’un moment, t’as un peu mal au dos !

Au-delà de ça, le voyage permis par la tournée doit être bénéfique pour le groupe ?

Pierre-Hadrien : Carrément. C’est super cool. Tu vois, là, on a 24, 25 ans pour la plupart, et se dire qu’à 25 ans tu as vu beaucoup, beaucoup de pays dans le monde, c’est assez agréable. Je pense que c’est très enrichissant. J’étais peut-être le plus casanier du groupe – enfin, je n’ai pas été habitué autant que les autres à voyager –, mais je me rends bien compte que les voyages nourrissent de plus en plus le groupe.

Justement : vos origines sont cosmopolites, vous avez fait découvrir l’album à travers un jeu sur Google Maps, vous êtes allés tourner le clip de Skip Stones en Inde… C’est bien l’idée même du voyage qui caractérise Natas Loves You ?

Virgile : Complètement. Et je pense qu’on ne l’avait pas réalisé. Mais plus on parle de cet album, plus cette idée revient. Et je crois qu’on s’en rend compte de manière de plus en plus profonde parce que c’est un truc vraiment inhérent au groupe : Jonas, toute sa vie, il a déménagé ; Alain est luxembourgeois, mais aussi espagnol ; P-H et moi, on s’est expatriés…
Pierre-Hadrien : Le mélange et le voyage sont dans notre ADN. Même si je ne suis pas aussi positif que les autres sur notre expérience en Inde : peut-être parce que, comme je l’ai déjà dit, je n’étais pas encore habitué aux voyages. Et la réalité, les réalités qu’il y a là-bas, ça m’a un petit peu choqué.
Virgile : Tu voyais un pays pauvre… Habitués ou pas à voyager, ça nous a tous bouleversés. Après, on n’y est resté qu’une semaine. On était très tristes de repartir. À part P-H.

Pierre-Hadrien : C’était une semaine super intense. Une claque. Mais j’avais envie de revenir, oui. Aujourd’hui, je mets de l’eau dans mon vin : peut-être que j’y retournerai un jour. Enfin, on verra… Mais le voyage nous inspire de plus en plus. Et plus on voyage, plus on a envie de voyager. C’est une espèce de cycle…
Virgile : Et puis c’est inscrit dans le métier. On se rend compte, aussi, que quand on ne voyage pas, on est moins productifs. Non seulement on tourne en rond au bout d’un moment, mais en plus on se prend la tête, alors qu’on est tous des potes à la base ! Mais dès qu’on part… L’été dernier, on est allés en République Tchèque, en Estonie, aussi, où on est allés se baigner dans une rivière…
Pierre-Hadrien : On a eu parfois la chance de voir des trucs incroyables. Et d’autres fois, on n’a le temps de rien : parce qu’on arrive en retard, parce qu’il y a les balances, et peut-être des interviews…
Alain : Et après, c’est la scène. Et après le show, ben… il fait nuit ! Et la nuit, c’est pareil dans tous les lieux. Et la nuit, toutes les villes se ressemblent.
Pierre-Hadrien : C’est vrai, ça ! D’autant plus qu’on sort d’une tournée d’hiver !
Virgile : C’est toujours un peu frustrant de repartir d’un endroit et de se dire : « Merde ! J’ai rien vu ! » Même à Nantes, récemment, en partant, je me suis dit : « C’est con, j’aurais bien aimé visiter ! » Au final, on a vu que ce qu’il y avait autour de la salle ! C’est pour ça que c’est bien de jouer dans les festivals : tu joues en journée, ça change, c’est cool. Et c’est un peu bizarre, aussi : c’est quand même un exercice particulier, parce que t’as genre dix minutes pour t’installer, que les loges sont plutôt parfois des espèces de tentes au milieu du vent…
Alain : C’est rock, quoi !

Cette notion du voyage, on la retrouve aussi dans The 8th Continent, votre album, qui sonne comme une épopée onirique grâce aux voix éthérées qui nous chantent des paysages et le temps qui passe, aux sons et autres effets qui touchent au cosmique comme au tribal, et, surtout, à cette intro/outro et ses arpèges au piano qui semblent envelopper la totalité des titres dans une bulle de rêve…

Pierre-Hadrien : Cool ! T’es dedans !
Virgile : C’est marrant. Tu es la première personne qui nous en parle, de cette intro/outro. Et pourtant, c’est un truc sur lequel on s’est vraiment pris la tête ! Avant même que l’album existe, que toutes les chansons soient écrites, on voulait un truc qui soit cohérent, une entité qui se tienne d’elle-même. On est très attachés au format album – peut-être par nostalgie. Cette intro/outro, elle est tirée d’une chanson qu’on a écrite il y a super longtemps, sur notre deuxième EP.
Pierre-Hadrien : À la base, c’était composé pour des violoncelles. C’était assez joli. Très « musique de film » – on est assez fans de John Barry, Axelrod, de tous ces compositeurs et de ce qu’on appelle la « library music », avec des mecs qui vont piocher dans tous ces vinyles des années 60 à 70, de l’exotica aussi… Et puis, finalement, au piano, ça a donné un côté plus Philip Glass qui était assez marrant.
Virgile : Si tu mets ton disque en boucle, ça fonctionne bien.
Pierre-Hadrien : L’infini, tout ça… On a voulu pousser un petit peu le concept.
Virgile : On est partis dans le symbolique…

Et le philosophique : vous dites de cet album qu’il « retrace l’histoire d’un personnage qui fuit une ville dystopique », c’est-à-dire, selon la définition, une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur. D’après vous, la musique serait-elle le meilleur moyen d’accéder à ce bonheur ?

Pierre-Hadrien : Les arts en général te permettent d’atteindre le bonheur.
Virgile : Je ne sais pas si on peut parler de « bonheur ». Enfin, la musique, c’est peut-être plus une nécessité. Depuis qu’on est adolescent, on fait de la musique : ça a toujours été pour nous une manière de nous exprimer. Et, je pense que ce n’est pas évident de s’arrêter quand tu es habitué à passer par ce medium. Il y a peut-être quelque chose d’un peu rituel, et, comment dire… de thérapeutique, là-dedans.

« La musique a toujours été au cœur de notre amitié.
Il y a beaucoup de partage et d’écoute entre nous, une certaine unité entre tous ces egos qui me fait penser à une complicité entre frères… »

Alain Schuman

La musique comme une voie vers le bien-être, alors ?

Pierre-Hadrien : La musique, c’est une sorte d’exutoire – et je dis ça en tant que « listener » et en tant que musicien. C’est un mode de communication tellement simple ! Je vais dans des bars écouter de la ziq, et que ce soit du hip hop, de la funk, de la soul, du rock, du punk, t’es là et tu danses, tu bouges tes épaules ; et il y a une autre personne qui fait la même chose, et qui te regarde, et tu souris… C’est super simple, c’est trop cool ! Tu n’as rien besoin de dire : tu ne vas pas parler de ta vie, de tes soucis, et l’autre personne non plus.
Virgile : J’ai parlé de tous tes problèmes dans nos chansons, alors, forcément, il n’y a plus rien à dire ! (rires) Non, mais c’est exactement ça. Encore un truc qu’on remarque au fil de nos voyages : tu te rends compte qu’au final, sur tel pont ou telle partie de tel morceau, il y a un truc qui marche et où le gens vont faire : « Ouais… » C’est direct. Sans aucun intermédiaire.
Pierre-Hadrien : D’ailleurs, même dans l’écriture des nouveaux titres, j’ai l’impression qu’on est un peu en train de revenir à quelque chose de plus simple, de plus instinctif…

L’album est écrit, composé et interprété par le groupe. Natas Loves You est donc une entité à cinq têtes. Mais comment se déroulent exactement l’écriture des textes et la composition des morceaux ?

Virgile : Pour la composition, P-H amène le squelette ; ensuite, le groupe répète au studio et chacun ajoute sa sauce, ses petits trucs. Pour les paroles, c’est Alain, P-H et moi.
Pierre-Hadrien : Ouais, mais parfois Virgile a des espèces d’éclairs : il écrit des paroles en vingt minutes ! C’est très cool, quand ça se produit !

Et comment arrive-t-on à travailler avec autant de différences culturelles, d’influences musicales ? Comment parvient-on à les concentrer pour ne donner qu’une seule et même couleur à l’album ?

Pierre-Hadrien : C’est le partage. La communication.
Alain : Je pense qu’il faut juste se respecter les uns les autres, respecter les opinions, se faire confiance, se sentir bien. Nous, on se connaît depuis longtemps, on fait plein de trucs ensemble. Et la musique a toujours été au cœur de notre amitié. Donc, pour composer une chanson, tout le monde apporte son idée, et chacune d’entre elles sera prise en considération. Et pour les textes, la plupart du temps, on parle tous ensemble pendant une heure avant même d’écrire une ligne. Il y a beaucoup de partage, et d’écoute entre nous, une certaine unité entre tous ces egos – et Dieu sait qu’on en a, dans ce groupe ! – qui me fait penser à une complicité entre frères – avec les mêmes prises de têtes, toujours pour des conneries. Et tant que ça restera comme ça, on sera potes, et on fera de la musique ensemble.
Virgile : Souvent, on s’excite grave sur un truc, en se disant : « Ouais, putain, c’est génial ! » On se met à fond dedans, et on tripe dessus pendant, genre, trois quarts d’heure. Et puis Alain revient de la cuisine, et il nous fait : « Je la sens pas, les gars… » Et nous, on est là : « Mais comment tu peux dire ça ? Je comprends pas ! Non, non, je te jure, c’est cool ! » Ça nous est encore arrivé récemment…
Pierre-Hadrien : (rires) On a fait une chanson genre reggae/r’n’b bizarre… Guitares acoustiques et trois voix : ça marchait très bien…
Virgile : On s’est réveillé le lendemain, et on avait un gros doute. Mais personne n’osait pas le dire. Et tout le monde se regardait, genre…
Alain : Personne ne voulait le dire parce qu’on avait déjà eu une engueulade deux jours avant sur une chanson où moi j’avais déjà dit : « Les mecs, non, je la sens pas ». Et c’était : « Comment ? Putain ! Mais c’est de la balle ! » Et j’étais là : « Je dis pas que c’est de la merde, mais je crois qu’il y a quelque chose à creuser, quoi… » Personnellement, je garde toujours les pieds sur terre. Même s’il y a une envolée, un truc, je ne suis jamais à fond, 100% convaincu, jusqu’à ce qu’on finisse la chanson. Et là encore, le lâcher prise n’existe pas tant qu’elle n’a pas été enregistrée dans sa version finale. Parce que, jusqu’à ce qu’elle soit sur l’album, une chanson n’est jamais vraiment finie : il y a tellement d’angles possibles, de couleurs à employer, de passages to take, qu’elle peut vraiment changer, soit dans des détails soit complètement dans les vibes.
Virgile : Et même quand elle est sur l’album, ta chanson, elle n’est pas vraiment finie : parce que tu la joues différemment en live.
Alain : C’est vrai qu’on a adapté pas mal de titres pour le live.
Virgile : Et puis on est vraiment des insatisfaits. Pour travailler cet album, on a vraiment réfléchi à la manière de faire de la musique, à la manière de composer, à celle d’écrire ce qu’on voulait vraiment dire. Nos prises de tête, elles ont aussi été bénéfiques, parce qu’on a vraiment appris des choses. Je crois qu’on y a aussi trouvé aussi des émotions.

Et quels sont les titres ou les artistes qui vous inspirent, qui vous transportent ?

Alain : Essentiellement des musiques afro-américaines, je dirais. C’est là que se trouvent beaucoup de nos influences : soul, funk, hip hop… Après, c’est très, très éclectique au sein du groupe : ça va de la musique classique au reggae en passant par le jazz éthiopien et de grands chansonniers français – Serge Gainsbourg, Jacques Brel, Charles Aznavour…
Pierre-Hadrien : La bossa nova, aussi, nous a beaucoup influencés. Mais bon, tu mets pas forcément tout dans ta musique.
Alain : Après, les gens vont se dire : « Mais, il est où le lien ? »
Pierre-Hadrien : Chacun a son domaine de prédilection pour ce qui est de l’influence musicale. On a chacun notre truc, qu’on ne partage pas forcément d’ailleurs.
Virgile : Alain et moi, on s’est pas mal liés d’amitié sur Led Zep’.
Alain : Et les Beatles, c’est ce qui nous met tous d’accord.
Virgile : Eh, les gars, il n’y a qu’une seule réponse valable à cette question : les Kinks ! Putain, Waterloo Sunset, quoi !
Pierre-Hadrien : Non… Les Beach Boys.
Virgile : Ou Bowie, comme sur ton tee-shirt. Sauf que pour moi, il est dans la catégorie des intouchables du rock, de cette Sainte Trinité qui était encore bien en vie jusqu’à il y a peu : Iggy Pop, Lou Reed et David Bowie.
Pierre-Hadrien : Moi, j’ai un délire sur Michael Jackson. Je suis ultra fan de Michael Jackson. Enfin, de sa musique – je trouve le personnage un peu étrange… Mais quelle ziq ! Tu mets ça en soirée, c’est un truc de malade !
Alain : James Brown. C’était mon premier gros kif dans la soul. Vraiment. Le mec, il est juste incroyable : cette technique, cette énergie animale sur scène… Dans mon groupe de rock, je voulais être James Brown – bien plus que Robert Plant, en fait. Mais avec ma gueule, ma dégaine, je ne pouvais pas être James Brown !
Pierre-Hadrien : Et Joonas, je crois qu’il aime bien les Bee Gees. Et il est amoureux de Chet Baker. (rires)
Virgile : Tu vois, on parle d’influences musicales… Je crois qu’on a tous été, à un certain point, super marqués par la culture musicale de nos parents. Et ça se ressent. Sinon, c’est lié à l’enfance.
Alain : C’est intéressant. Il y a quelques jours, j’ai réécouté Los Panchos, les Beatles mexicains selon moi. Et c’est d’une beauté dans la composition ! Si on me dit : « Tu pars sur une île déserte, t’emmènes quoi ? », je prendrai les Panchos. Et Paco de Lucía. Leurs musiques me ramènent aux sources, me renvoient à mon enfance, dans ce cocon, parce que c’est des trucs qui tournaient tout le temps à la maison.
Virgile : Moi, c’est l’Unplugged de Nirvana. Et maintenant que j’y repense, c’est mon père qui me l’a filé… Je crois vraiment que tout le monde, en fait, se construit musicalement via l’univers parental.

Vous êtes sur les routes pour faire la promotion de votre album depuis six mois maintenant. L’expérience de la scène vous enivre-t-elle ?

Pierre-Hadrien : C’est cool.
Alain : Tu as le bon mot : la scène, c’est enivrant. Il y a un truc magique sur scène qu’il n’y a pas en studio. Mais P-H est certainement celui d’entre nous qui se sent plus à l’aise en studio. Parce qu’il aime vraiment bidouiller…
Pierre-Hadrien : J’aime bien foutre le bordel, en fait. Je crois que j’aime le bordel. Je trouve ça trop cool quand les gens foutent le bordel et qu’il y a une espèce de mouvement de masse, et que ça rigole, et que ça blague, et qu’en même temps c’est bon enfant, et c’est doux… J’aime le doux bordel, voilà.
Virgile : C’est notre côté bière et punk, ça ! Parce que P-H et moi, ados, on adorait traîner avec des potes, on écoutait du rock et on faisait du skate. On était un peu des petits chieurs. Et je crois que c’est un truc qui marque. On s’est beaucoup calmé, mais y a des moments où ça ressort un petit peu. D’ailleurs, on a toujours nos boards avec nous.
Pierre-Hadrien : C’est un tel plaisir ! Je ne sais pas, tu penses à rien quand tu es en l’air ou une figure… J’ai fait une grosse session, l’autre soir, en revenant de Nantes : il faisait un temps magnifique à Paris, et j’ai fait genre cinq heures de skate, bim ! C’est trop cool, quoi !

Voilà donc votre lien avec le réalisateur américain Larry Clark, qui signe le clip de Got to Belong : le skate ?

Pierre-Hadrien : À la base, non. Mais ça l’est devenu puisqu’on est maintenant super potes avec les mecs de Wassup Rockers [un film de Larry Clark (2006), ndlr] – on était avec eux hier encore. Ces mecs-là, ils viennent du Honduras, du Salvador, du Guatemala, de tous ces pays-là, et ils ont migré vers L.A. Et ce qui est ouf, c’est que j’ai l’impression qu’ils sont, sur beaucoup de points, exactement comme nous. La dernière fois qu’on était avec eux, en cercle, à rire des mêmes trucs, je me suis dit : « Je comprends, en fait : c’est pas eux qui s’adaptent à nous, c’est nous qui nous sommes américanisés ».
Alain : On ne s’en rend même plus compte, mais en Europe, on est complètement américanisés – les jeunes d’un certain âge, en tous cas. Moi, je comprends très bien le lien entre eux et nous : on est presque des gosses américains, finalement.
Virgile : Moi, en l’occurrence, je suis vraiment américain !
Alain : Toi, oui ; mais moi ? J’ai parfois l’impression que j’aurais pu être un gosse américain. Quand j’ai regardé Boyhood [film de Richard Linklater (2014), ndlr], sur l’enfance d’un gamin américain, je m’y retrouvais complètement ! Depuis les années 50, l’Amérique s’importe en Europe ; et la musique américaine a été fondamentale dans notre jeunesse. Il est là, le lien avec ces gosses-là, c’est évident : c’est la musique.
Pierre-Hadrien : Pas seulement. Ils étaient dans un gros ghetto à L.A., où les « keumés », ils avaient des baggies et ils écoutaient du gros « peu-ra », tu vois. Et eux, non : ils avaient juste envie de skater, de faire de la musique – du punk. Ils ont cet esprit d’ouverture et en même temps de survie un petit peu étrange, c’est-à-dire qu’on ne t’attaque pas vraiment mais tu sais que les gens te regardent de travers…
Alain : Oui, il y a chez eux cet esprit misfits : ils sont un peu en marge de la société sans pour autant être des criminels. « You steal chewing gum from the corner shop… You don’t mean no harm… »
Pierre-Hadrien : T’es un bon petit branleur, quoi !
Alain : Exactement. Et dans ce sens-là aussi, on se rejoint.
Virgile : Mais c’est un truc dont on a appris à devenir fier. Parce que, quand tu grandis au Luxembourg, qui est quand même un pays très rangé, très carré, et que tu es un peu différent – tu fais du skate, tu écoutes du punk, tu fous un petit peu le bordel –, en effet, tu sens les regards se poser sur toi : « Ils sont chelous, ces gosses… »

Pierre-Hadrien : Je pense qu’on était vraiment des canailles et qu’on encanaillait d’autres personnes sans le savoir. Quand je repense à ces meufs qui ont traîné avec nous : elles avaient juste envie de s’encanailler pendant un an, mais c’était pas leur vie ! Aujourd’hui, tu les recroises, et pour elles, tu es un fou, genre : « Toi, t’es artiste ! »
Virgile : (rires) Comme un pote, qui est venu me voir en Allemagne : « Ouais, j’ai un boulot dans une ville à côté, j’ai fini mes études d’ingénierie aéronautique… » Et moi, je me dis : « Putain, mec, on n’a vraiment pas la même vie ! » Et lui, il continue, avec son petit sourire en coin : « Alors, la musique ? C’est pas trop dur ? », sous-entendu : « T’es un branlos ! T’es intelligent, mais t’es un boloss quand même ! » Ça m’avait fait marrer.
Pierre-Hadrien : (rires) Mais ouais, les gens s’inquiètent pour toi alors que tu es très heureux !
Virgile : Et tu te retrouves à essayer de convaincre les gens que ça va… C’est trop bizarre !
Pierre-Hadrien : On arrive à un âge où on commence juste à se rendre compte du long terme et de son importance, alors qu’avant on n’avait aucune idée de ce qu’on allait faire. On avait juste envie de rester ensemble et de faire de la musique. Et puis, voilà, ça a fini par donner ça. Et c’est cool ! Moi, je suis super content ! Et ton pote, même s’il gagne plus d’argent, s’il a plus de stabilité que nous aujourd’hui, parfois, il va se réveiller le lundi matin à 8h00 et penser à nous : « C’est con, moi, je fais des trucs beaucoup moins cools qu’eux… »
Virgile : Peut-être qu’on gagne le SMIC, mais au moins on nous paye les transports ! (rires) C’est sûr, c’est une vie de bohème – en tout cas, on le vit comme ça. C’est aussi un peu de notre faute : on n’est pas très organisés. Peut-être que les autres groupes s’en tirent vachement mieux que nous ?
Pierre-Hadrien : Mais on a tellement d’histoires à raconter, mec ! C’est un truc de malade !

L’exercice, périlleux, du deuxième album est toujours très attendu tant par la critique que par le public. Avez-vous déjà quelques idées de ce vers quoi vous allez ?

Alain : On a des chansons. Il y a Big Beat, qu’on n’a pas encore enregistrée, et deux autres qui le sont déjà. Les trois sont intégrées à notre set se marient assez bien au vieux matériel.
Pierre-Hadrien : Mais le prochain album sera beaucoup plus léger, je pense.
Alain : Plus insouciant.
Virgile : Un peu plus personnel, peut-être, aussi. C’est marrant… Tu te dis toujours que tu as besoin d’une nouvelle direction, mais, en fait, tout se fait super progressivement. On est en train d’amorcer un virage, avec l’impression d’être sur une autre route, sauf que tu as juste fait du chemin, tu es simplement un peu plus loin.
Pierre-Hadrien : Pour l’instant, on est en discussion avec le label pour le lancement du prochain single. On a une bonne idée, pour le clip, et ça va être très drôle, je pense. Enfin, ça va être du grand n’importe quoi.
Virgile : Ouais, d’ailleurs, faut qu’on en parle…

Vous dites aller vers plus de légèreté pour ce futur album, mais, encore une fois, The 8th Continent donne vraiment le sentiment de voyager dans une bulle…

Virgile : On a toujours, consciemment, voulu rester un peu lumineux. Même quand on parle du temps – du temps qui passe, de la mort – on a insufflé de l’espoir dans nos paroles. Notre garde-fou, c’était : « Il ne faut pas que ce soit trop dark », parce que ça ne nous reflète pas, et qu’on n’avait pas envie de rentrer dans un truc déprimant non plus. Alors on a gardé cette espèce de lueur d’espoir, que l’on retrouve aussi, je pense, dans la musique.

La seule ombre au tableau serait peut-être le titre de l’album, qui renvoie à une grande zone d’ordures (sept millions de tonnes de déchets plastiques) dans l’océan Pacifique, laquelle met en péril l’écosystème marin ?

Pierre-Hadrien : On ne le savait pas. Le 8e continent, en fait, ça regroupait d’abord l’idée de l’infini avec le chiffre 8, et puis celle d’une nouvelle génération de « jeunes adultes » ou de « jeunes qui grandissent » qui souhaitent créer quelque chose de nouveau mais ne savent pas comment s’y prendre. C’est vrai, comment tu fais si tu veux inventer un nouveau système, si tu veux être utopique, si tu veux donner place à tes idées naïves de jeune ?
Virgile : C’est la question que pose l’album.
Pierre-Hadrien : Si je devais répondre à cette question, maintenant, je dirais : « Mec, tu peux pas changer tout d’un coup, mais reste positif, tout le temps. » Et c’est ce qu’on a essayé de faire avec cet album : on y parle de sujets profonds, parfois un petit peu tristes, mais je crois vraiment qu’on a toujours tenté de puiser le bon partout et de tourner les choses à notre avantage. Dans la chanson éponyme, il y a une phrase qui décrit très bien ça : « We will dig a place out of our minds / Immaterial materialized », c’est-à-dire qu’il faut matérialiser ses idées peu à peu.
Virgile : C’est profond, hein ? Maintenant tu comprends pourquoi le deuxième album va être vachement plus léger ? (rires)
Alain : Après ça, t’as juste envie de te prendre une bière et juste oublier ce qui a été dit. (rires)
Pierre-Hadrien : Oh non !

THE 8TH CONTINENT, DE NATAS LOVES YOU (CINQ7 / WAGRAM MUSIC, 2014)

Mickaël Pagano, 2015

© PHOTOS : DR, ELLIOTT ARNDT, LARRY CLARK, THIBAULT DUMOULIN, FRENZY PARIS