Guitare héros
MAXIME LE FORESTIER
« Plutôt guitare »
Depuis ses débuts à la fin des années 60, qu’elles soient pincées ou vocales, l’auteur compositeur en a manifestement plus d’une à son arc. Et sans jamais tirer dessus, il sait même toucher la plus sensible en songeant toujours à ceux qui sont sur une autre, raide, celle-là.
Alors, pour chanter les instruments, les artistes et le public qui l’accompagnent fidèlement lorsqu’il est sur scène, Maxime Le Forestier est bien entendu dans nos cordes.
Discotexte : Cette compilation live de morceaux choisis est-elle votre volonté ?
Maxime Le Forestier : À chaque tournée, je prends la liste des morceaux de la précédente, et je vois quelles chansons je vais jeter pour les remplacer par des nouvelles. Il ne reste, forcément, avec les années, que celles dont je ne peux pas me passer – à savoir que si je fais un concert sans chanter Mon frère, ma femme divorce, sans chanter San Francisco, je me fais étriper par le public – et les indispensables, les « tubes » : Ambalaba, Né quelque part, Passer ma route. Ensuite, j’essaye toujours de laisser quelques chansons plus anciennes, mais qui n’ont pas marché à leur époque – comme cette fois Les Jours meilleurs, qui s’était gravement plantée en 1983, et qui retrouve un peu d’actualité. Cette année, comme jamais auparavant, j’ai réussi à placer un maximum de nouveaux titres pour les essayer devant le public, car c’est là qu’une chanson gagne vraiment ses galons…
Ce spectacle vous tient à cœur… Mais n’est-ce pas difficile de promouvoir une prestation que l’on trouve maintenant gravée sur DVD ?
C’est vrai, c’est rigoureusement la même configuration : le son, la lumière, les décors, les musiciens… Maintenant que le DVD existe, ma liste de chansons se complète de deux ou trois titres supplémentaires, pour que les gens qui viennent me voir sur scène aient un plus ! Pour revenir à l’enregistrement visuel du concert, je tiens à dire que ce n’est pas moi qui ai souhaité faire un DVD : c’est l’idée de Pascal Nègre [PDG d’Universal Music, ndlr], que j’ai pris pour un fou lorsqu’il me l’a soumise ! Mettre en image un spectacle complètement statique, intimiste… Et finalement, le réalisateur Michel Bazille a trouvé la solution : filmer ce qui bouge, donc nos mains. La question s’est posée aussi de savoir ce qu’on allait pouvoir mettre dans les bonus. J’ai voulu éviter les musiciens au catering en train de manger, etc. Tout ce que j’ai laissé des coulisses, c’est Laurent Lachater, le backliner, un hard-rocker qui vient apprendre le classique avec nous, et qui soigne les dix guitares – il change leurs cordes, fait attention à leur température, les accorde pendant le concert, les range le soir, etc. –, qui vit littéralement avec depuis deux ans – ce sont ses femmes ! Et puis j’ai voulu orienter les bonus pour m’adresser aux guitaristes amateurs pour qu’ils comprennent que ce qu’ils entendent est jouable, en leur expliquant comment faire. Et si je cible principalement ce public, c’est parce que nous sommes beaucoup à nous faire saigner les doigts, et que nous sommes des gens souvent solitaires. Alors c’est bien, je pense, d’avoir un support autour duquel nous pourrons tous nous retrouver.
Plutôt guitare (Polydor /Universal, 2002) est donc un titre parfait ! Quelles sont les relations que vous entretenez avec les grands guitaristes, mais aussi avec l’instrument-même ?
Certains guitaristes – John McLaughlin, Jimi Hendrix, Django Reinhardt, Jean-Félix Lalanne, Henri Crolla, Paco de Lucia, Andrés Segovia, Ida Presti – m’ont tellement impressionné qu’ils ne pourront pas m’inspirer ! De la guitare, je dirais que j’entretiens avec elle une liaison charnelle, sensuelle, chaotique, constante et quasi-quotidienne… « Quasi » parce que j’ai maintenant plusieurs guitares : je partage !
« À chaque tournée, je prends la setlist de la précédente, et je vois quelles chansons je vais remplacer par des nouvelles. Mais si je fais un concert sans chanter Mon frère, ma femme divorce, et si je ne joue pas San Francisco, je me fais étriper par le public : voilà deux titres dont je ne pourrai jamais me passer ! »
Était-ce pour vous,qui êtes excellent musicien, un défi de jouer avec trois autres talentueux guitaristes ?
Très intérieurement, oui… J’ai un respect immense pour Manu Galvin ; mais il n’est pas impressionnant, juste émouvant ! Quant à Michel Haumont, que je ne connaissais que de réputation – « une pointure », « le meilleur élève de Marcel Dadi » –, ça a été une découverte à la fois de l’homme et du musicien dont je ne me féliciterai jamais assez ! Enfin, jouer avec Jean-Félix Lalanne, pour moi, n’a jamais été un défi, parce que c’est une complicité qu’on a depuis… Il devait avoir 20 ans la première fois que j’ai eu une tournée à faire en Afrique, avec seulement un musicien – parce qu’il n’y avait qu’un seul billet d’avion ! Jean-Félix, qui avait envie de voyager, était de surcroît le seul qui pouvait m’aider à remplir les salles : on a donc monté notre premier concert ensemble en 1982. Et de là, on a fait pas mal de galères ensemble : les centres culturels français à l’étranger, où il n’y avait pas de moyens du tout, où il fallait se débrouiller… Donc, autant il m’impressionne comme guitariste, autant, quand je joue avec lui, je suis plutôt tranquille : s’il m’arrive n’importe quoi, je sais qu’il suivra ! C’est un homme qui joue avec ses oreilles, même si dans sa tête tout est structuré, très écrit : il est capable de beaucoup. Disons que, comme je me sers surtout de ce que je sais jouer pour accompagner mes chansons, par rapport à ces guitaristes-là (et bien d’autres), j’ai le permis de conduire mais pas la licence de Formule 1 !
Ce concert est-il la prolongation d’un indéfectible hommage à votre maître à chanter, Georges Brassens, justement commencé avec l’album Maxime Le Forestier chante Brassens (Polydor, 1979), et plus récemment poursuivi avec l’intégrale Le Cahier (Polydor, 1998), enregistrés en public ?
J’ai chanté ses chansons pendant les dix-huit mois d’une tournée antérieure, c’est exact, mais déjà là, ce n’était pas un hommage à Brassens : la chanson française commençait à avoir ses classiques, et je pensais les jouer régulièrement seulement pour qu’ils restent au goût du jour… J’ai d’ailleurs débuté la tournée Brassens à la Merise, cette salle de la ville de Trappes où je vais encore me produire prochainement. C’est un excellent souvenir : j’ai joué 3h30 durant, et quand je suis sorti de scène, on m’a dit : « Tu es fou ou quoi ? » Je n’ai simplement pas fait attention à l’heure : tant que ma voix me le permet, je chante ! Depuis, j’ai toujours une montre avec moi pour ne pas dépasser les deux heures de spectacle ! C’est cette tournée qui m’a vraiment fait reprendre la guitare. Dans les années qui lui ont précédée, j’avais toujours à mes côtés un guitariste qui jouait mieux que moi : alors les trucs un peu durs, je les lui faisais faire, et je m’installais dans une douce flemme… Là, avec Brassens, il fallait vraiment que je travaille seul. Depuis j’ai écrit L’Écho des étoiles (Polydor, 2000), plus « guitaristique » que « pianistique » ; et me revoilà sur scène avec des guitares : c’est plutôt cohérent !
« Avec la guitare, j’entretiens une liaison charnelle, sensuelle, chaotique, constante et quasi-quotidienne…
"Quasi" parce que j’ai maintenant plusieurs guitares : je partage ! »
Vous participez également depuis longtemps à la généreuse et conviviale aventure des Enfoirés, au profit de l’association caritative Les Restos du Cœur. Jean-Jacques Goldman, son directeur artistique, semble même avoir fait de vous celui qui donne le la au sein de la troupe…
La première fois que j’ai participé au concert des Enfoirés, j’ai vu l’énorme poids que Jean-Jacques Goldman avait sur les épaules. « Qu’est-ce qu’on peut faire pour que ce soit moins lourd pour lui ? » Je me suis dit que je pouvais peut-être faire répéter les chœurs : « Ça va lui faire gagner une demi-heure d’en prendre trois dans un coin, de les faire répéter ; comme ça, quand il mettra la chanson au point, eux la sauront déjà ! » Je me considère donc plus comme un assistant de Jean-Jacques qu’autre chose. Il est la figure et le chef artistiques de ce truc-là. Mais tout ce qu’on peut faire pour l’aider est le bienvenu. Les Restos, c’est comme un cercle dont on ne connaît pas le commencement : s’il n’y avait pas les 40 000 bénévoles et les 60 millions de repas qu’ils servent tous les ans, il n’y aurait pas de spectacle, ni le besoin de tous les artistes de s’impliquer à ce point, et vice versa. Il y a un échange d’énergie très intéressant entre les bénéficiaires, les bénévoles et le show-biz. Le concert annuel, au thème festif et rigolard – l’association a quand même été créée par un clown [Coluche, ndlr], ne l’oublions pas –, rapporte un quart du budget des Restos du Cœur. Les artistes y gagnent aussi énormément : on se voit une fois par an, ce qu’on avait du mal à réaliser avant – d’ailleurs, si aujourd’hui on a tant de duos sur les disques français, c’est grâce aux Restos ! Et surtout, on se connaît : j’ai désormais les numéros de tout le monde ! Une véritable solidarité s’est créée… J’ai un plaisir immense à participer à ce concert, dont on sait qu’il est le meilleur spectacle de variétés de l’année. Nous faisons notre métier dans les meilleures conditions et avec les meilleurs techniciens français qui soient. Qui plus est, c’est un rendez-vous qui a l’air de faire plaisir aux téléspectateurs de tous les milieux sociaux… C’est bon d’avoir le sentiment d’être dans un mouvement réellement positif qui fait du bien !
Auriez-vous un message à adresser aux lecteurs qui souhaiteraient s’impliquer dans cette aventure solidaire ?
Un homme, qui remplissait malheureusement tous les critères de misère, se fournissait aux Restos du Cœur. Pendant plusieurs années, un même femme – l’une de celles qui sont souvent multilingues car le français ne suffit pas pour comprendre ce type de misère – lui a offert son petit-déjeuner, avec le sourire, sans qu’il lui adresse la parole. Au bout de cinq ans, il s’est mis à parler : « J’étais cadre dans une entreprise… J’ai eu un accident de voiture dans lequel j’ai perdu ma femme et mes deux enfants… J’ai fait une dépression nerveuse à la suite de laquelle j’ai perdu mon emploi… Et je me suis retrouvé à la rue… » Je tiens cette triste histoire vraie de la bouche de Véronique Colucci [présidente et administratrice des Restaurants du Cœur depuis la mort de son ex-époux Coluche en 1986, ndlr]. Les plus généreux sont ceux qui donnent leur temps au jour le jour. La femme de ce récit est, à sa façon, une héroïne. Et peut-être a-t-elle été, est-elle ou sera votre voisine. Il ne tient qu’à elle, à vous, de faire partie d’une association répondant à des critères de probité, d’honnêteté, d’efficacité, de professionnalisme, pour obtenir le logo et la logistique des Restos du Cœur et créer un nouveau Relais. « On compte sur vous », comme disait l’autre…
PLUTÔT GUITARE, DE MAXIME LE FORESTIER (CD POLYDOR / UNIVERSAL, ET DVD UNIVERSAL MUSIC PICTURES, 2002)
Mickaël Pagano, 2002
© PHOTOS : DR, ROBERT GIL, CLAUDE GASSIAN, JEAN-MARC LUBRANO, DIMITRI SIMON