Les « malheurs » de Sophie
Sophie Mounicot
« H »
Sophie Mounicot est actrice. Et après avoir trop souvent donné la réplique – notamment dans la série maintenant culte du groupe Canal+, H –, elle passe l’audition du « bon rôle ». Mais parce qu’elle n’a pas la langue dans sa poche, elle se déclare à son art et le maudit à demi-mot.
Avec esprit, et sans phraser, la comédienne se révèle. Sincère.
« Je n’ai pas le sentiment d’être une potiche physiquement, alors forcément, j’ai souvent compensé en ouvrant ma gueule. Mais parfois, ça ne passe pas. Je me suis donc souvent battu contre des murs, sans jamais rien obtenir… »
Discotexte : Canal+ vient de diffuser le dernier épisode de la série H [sitcom se déroulant dans le milieu hospitalier, créée par Éric Judor et Xavier Matthieu en 1998, ndlr]. Que retirez-vous de ces quatre années de tournage ?
Sophie Mounicot : Un plus gros chéquier, grâce auquel je me suis acheté une péniche ! Non, sérieusement… Ça m’a apporté une plus grande notoriété : aujourd’hui, on sait qui je suis. J’ai plus de propositions. Le malheur, c’est qu’en France, on vous colle vite une étiquette. Beaucoup de scénaristes m’ont donc définitivement associée au personnage autoritaire de Clara [Saulnier, l’infirmière en chef du service d’orthopédie dans H, ndlr] ; on m’a même récemment proposé deux rôles d’infirmière au théâtre… C’est dommage de ne pas essayer de voir au-delà… Mais les mentalités sont en train d’évoluer – même si ça changera vraiment quand j’aurai déjà un pied dans la tombe !
H, qui vous a révélée aux côtés d’une nouvelle génération de comiques – Jamel Debbouze, le duo Éric et Ramzy –, vous aura donc apporté une certaine célébrité… Comment expliquez-vous cette reconnaissance soudaine mais tardive ?
J’ai toujours travaillé. Et si le public me reconnaît maintenant, on me connaît depuis longtemps dans le métier. Mais je n’avais encore jamais fait ce dont j’avais envie. Aujourd’hui, j’y arrive. Mais ce n’est pas grâce à H ! Parce que je suis quelqu’un qui m’acharne, je réussis enfin. La série m’a fait du bien, c’est une évidence. Mais ça fait quand même vingt ans que je suis dans ce métier. Et après tout ce temps, quand est encore là, sans être connue, qu’on arrive à en vivre, c’est qu’on a quelque chose en soi. Sinon, c’est pas juste ! Autre chose : même dans la profession, le comique n’est pas estimé immédiatement : on remet plus facilement un César à Emmanuelle Devos pour son interprétation dans un film comme Sur mes lèvres [de Jacques Audiard (Pathé Production / France 2 Cinéma / F Comme Film, 2001), qui a aussi obtenu les César des meilleurs scénario et son, ndlr] – magnifique, par ailleurs – plutôt qu’à Valérie Lemercier, par exemple ; alors qu’il est beaucoup plus difficile de faire rire que pleurer, contrairement à ce que l’on pense. Peut-être aussi n’aurais-je pas dû faire autant de pubs à mes débuts : encore une fois, on est vite catalogué par ses « pairs », et avec cette guerre télé’ versus ciné’, c’est difficile de se faire reconnaître… Aujourd’hui on me demande des autographes, mais ça me gêne. Je me demande pourquoi. Je suis tellement rien encore… Je ne suis pas une star ! Ceci dit, derrière le malaise, j’ai un plaisir immense : c’est agréable, la reconnaissance d’un public !
Craignez-vous que le public aussi ne vous admire désormais qu’à travers le personnage de Clara ?
Le tournage s’est arrêté il y a huit mois. Bien sûr, les plus jeunes continuent de m’identifier comme « la nana de H ». Aujourd’hui, j’espère pouvoir me défaire de cette blouse d’infirmière. Ce furent de très belles années, et si c’était à refaire, je le referais sans hésiter. Pourtant, c’est un rôle qui m’a souvent frustrée. Car comme Jamel [Debbouze, ndlr] et Éric [Judor, ndlr], je suis passée par l’école de l’impro’ ; malheureusement, le personnage de Clara ne me permettait pas d’improviser, contrairement à ceux des garçons : leurs dialogues étaient toujours écrits avec des points de suspension, pour qu’ils puissent « partir en vrille » pendant les prises. Pas les miens… Et ça leur a certainement valu plus vite les « faveurs » des spectateurs, puisque la sitcom était enregistrée en direct, avec les vrais rire d’un vrai public… Pendant le tournage, ils faisaient leur show en permanence : c’était à celui qui ferait le plus marrer l’autre, ou les techniciens, ou… Bref, ça partait dans tous les sens ! Comme moi dans ma réponse, en fait : on en est où, là ? (rires)
Nous tentions de savoir si le public n’allait pas vous emprisonner dans une belle blouse blanche…
Ah, oui ! Et j’ai dérivé sur l’écriture de H… Ok, je termine donc cette parenthèse, si vous me le permettez… En fait, les auteurs ne m’empêchaient pas de changer quelques répliques, mais au bout du compte, j’ai eu tendance à baisser les bras… Vouloir imposer ma façon de voir m’aurait certainement desservi plus qu’autre chose. Car il faut savoir que je suis quelqu’un de droit, et je dis ce que je pense. Le malheur, c’est qu’à être franche, je pouvais passer pour une râleuse… Bon, j’ouvrais ma gueule et je me faisais souvent entendre ! Cependant, je n’avais pas le poids des garçons… Sans doute y avait-il un petit côté machiste de la part de l’équipe en général… Les femmes énervent certains hommes ; et c’est une réalité, dans ce métier comme dans un autre : il est difficile de réussir. La « nouvelle génération » n’est pas semblable à celle que j’ai pu côtoyer, semble-t-il… Les temps changent ! Et heureusement ! Parce que j’espère pouvoir repeindre cette mauvaise image du producteur que j’ai en tête – pour l’avoir rencontré : un homme de 50, 65 ans, misogyne, qui me dit que « la femme n’est pas faite pour rire » ! Je n’ai pas le sentiment d’être une potiche physiquement, alors forcément, j’ai souvent compensé en ouvrant ma gueule. Seulement, parfois, ça ne passe pas. Je me suis donc souvent battu contre des murs, sans jamais rien obtenir… Je sais pourtant reconnaître que j’ai le mérite d’avoir tenu jusqu’au bout : dans H, Catherine Benguigui [qui a incarné le médecin du service d’orthopédie Béatrice Goldberg dans les deux premières saisons de la série, ndlr] est vite partie… Allez, on ferme la parenthèse et on répond enfin à la question : j’ai su et je saurai montrer que je ne suis pas que cette Clara…
Venons-y, justement. Sentez-vous libre de tout nous dire de votre actualité, de vos projets, de vos envies…
J’ai joué dans Monique (M6 Films / Pan Européenne, 2002), le premier long métrage de Valérie Guignabodet [co-créatrice, avec Alain Krief, de la série policière Avocats et associés, diffusée sur France 2 depuis 1998 et à laquelle Sophie Mounicot a participé le temps d’un épisode de la première saison, ndlr], aux côtés de Marianne Denicourt et Albert Dupontel, qui doit sortir le 21 août prochain. Et je suis en train de tourner la suite de Police District, une série [créée par Hugues Pagan, diffusée sur M6 depuis 2000, ndlr] dans laquelle j’ai un rôle récurrent : j’aime ce « feuilleton » parce qu’il se démarque de toutes les autres séries policières, et j’aime vraiment mon personnage, ce que j’ai pu en faire… Côté théâtre – parce que ce sont là mes sources, et ce depuis le Cours Simon –, le scénariste Emmanuel Lizt m’a fait lire une pièce très intéressante que je vais tenter de monter… Sinon, j’écris beaucoup, chez moi. J’appellerai ça : Les Pensées à deux balles de Sophie Mounicot ! Non, je plaisante ! Mais, c’est vrai, j’écris… Seule, je travaille aussi sur un module d’une minute trente pour la télé. Et en collaboration avec le talentueux Gérald Sibleyras, je réadapte le one-woman-show que je n’ai joué seule fois… Voilà. On a fait le tour. Et toute ma promo’ !
Voilà qui permettra à tous de comprendre que vous êtes une véritable comédienne, capable de tout jouer.
Je l’espère… Merci.
Un dernier mot ? Sur… H ? (rires)
Ah, ben, bravo ! Tout ça pour ça ! Non ! Pas sur H, mais sur Jamel : je l’adore. Il a un talent fou et une chance incroyable – ce mec est unique ! J’en entends qui disent : « Jamel ? Ça ne durera qu’un temps… » C’est faux ! Il est intelligent, malin ; il a une énergie incroyable et possède un truc que personne n’a. Il n’est pas non plus à considérer comme une « relève » : c’est un talent qui n’existait pas et dont on avait besoin, comme, il y a quarante ans, on a eu un Fernandel ou un Louis de Funès, de grands personnages qui resteront dans les mémoires. Je ne dis pas ça parce que j’ai joué pendant toutes ces années à ses côtés, mais bien parce qu’il est certainement le jeune acteur qui me marque le plus : il me fait rire, il réussira vraisemblablement à me faire pleurer. Et il ira loin… D’ailleurs, moi aussi, j’aimerais aller loin : j’ai très envie de prendre des vacances au Maroc, tiens ! Faut que je l’appelle ! (rires)
« J’espère pouvoir repeindre cette mauvaise image du producteur que j’ai en tête – pour l’avoir rencontré : un homme de 50, 65 ans, misogyne, qui me dit que "la femme n’est pas faite pour rire" ! »
H, CRÉÉE PAR ÉRIC JUDOR ET XAVIER MATTHIEU (CANAL+, 1998-2002)
MONIQUE, DE VALÉRIE GUIGNABODET (M6 FILMS / PAN EUROPÉENNE, 2002)
Mickaël Pagano, 2002
© PHOTOS : DR, ARTISTIC RECORDS, CANAL+