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Kings of The World (Music)

BUMCELLO
« LYCHEE QUEEN »

Le très singulier duo Bumcello régalera bientôt le public du festival Jazz à la Villette. Avant cela, Vincent Segal (violoncelle) et Cyril Atef (percussions) nous font goûter aux fruits de leurs impros : leur dernier album, Lychee Queen, et leur passion pour la scène, ce royaume des deux.

Discotexte : Digne successeur de vos précédents album, Lychee Queen (tôt Ou tard, 2008) est un disque pluriel, aux sonorités variées. Comment le définissez-vous ?

Cyril Atef  : C’est un disque plus soul, plus doux, plus « west coast » que les précédents parce qu’il a été enregistré par un gars de L.A., l’excellent « Bob » Brown, un « vieux de la vieille », et notre ami de vingt ans, Tommy Jordan. Pour ceux qui nous connaissent bien, Lychee Queen (tôt Ou tard, 2008), est plus proche de Nude for Love (tôt Ou tard, 2002) que d’Animal sophistiqué (tôt Ou tard, 2005).

C’est aussi l’album pour lequel vous avez fait le plus appel à d’autres artistes renommés, parmi lesquels Chocolate Genius…

Vincent Segal  : (interrompant l’énumération des « featurings ») Le nom de Chocolate Genius n’est pas connu. Et pourtant, c’est une méga-star : il a tourné avec Bruce Springsteen, et David Byrne est l’un de ses plus grands fans ! Parce qu’on est amis depuis longtemps, que j’ai bossé avec la plupart des gens qui travaillent avec lui, il a a accepté de collaborer avec Bumcello sur Lychee Queen. Il a une connaissance de la musique très importante, et une voix magnifique ; il a écrit beaucoup de chansons pour d’autres, et des textes très pointus mais très bizarres… Il est un peu « arty », et en même temps très simple : à la fois très proche de Sonic Youth et d’artistes plus populaires. C’est un mec super.
Cyril Atef : On fait appel à des gens proches, en se disant tout simplement : « Ces gars, ils chantent bien. On va leur envoyer le morceau. »
Vincent Segal : Et puis on a donné des « consignes » aux uns et aux autres : on leur proposait les mélodies chantées. Sauf à Tommy, qui a trouvé tout de suite, et Chocolate, qui est carrément venu composer avec nous – il y a des mecs, comme ça, qui te proposent des chansons en quinze secondes…

Peut-on alors parler de Bumcello comme d’un collectif d’artistes, au moins pour le travail participatif accompli sur Lychee Queen ?

Cyril Atef : Bumcello est un groupe. Et il y a juste un esprit et des potes tout autour de lui – de nous.
Vincent Segal : Alors que le collectif d’artistes fait tout ensemble, au même moment, au même endroit ; ses membres investissent leur temps et leur argent de façon à peu près commune. Socialement, aussi.

Matthieu Chedid, alias -M-, appartient également à la famille musicale et amicale de Bumcello. En vous faisant intervenir sur ses albums et sur scène à ses côtés, il vous a fait connaître. Quelles relations entretenez-vous avec lui ?

Vincent Segal : C’est vrai que le succès de Matthieu nous a donné une certaine visibilité. Il nous a fait connaître, mais, d’une certaine façon, on l’a fait connaître aussi grâce au live. Mathieu est l’un des premiers artistes que j’ai rencontrés qui avait les qualités que les gens, dans la variété, n’ont pas : il sait ce qu’il veut tout en laissant beaucoup de liberté et de place à ceux qui l’accompagnent. Cyril a donc toujours pu jouer de la batterie à sa manière, et j’ai moi-même développé des sonorités originales de violoncelle sur des grandes scènes grâce à Matthieu. Après, les gens avec qui il « vit » – travaille – au quotidien forment une famille assez éloignée de nous, de notre univers : on ne peut donc pas parler de collectif, là encore, puisqu’il n’y a finalement que des proximités avec Bumcello.
Cyril Atef : J’ai une exclu’ : en ce moment, Matthieu prépare un album avec son jeune frère et un copain bassiste [il s’agirait de Mister Mystère, quatrième album studio de -M-, probablement produit par Joseph Chedid et Pierre Cohen, ndlr]. Et nous, on y a mis nos petites touches cet été : des percussions, des cordes, des voix…
Vincent Segal : On a toujours fait les arrangements de -M- [Vincent Segal apparaît dès son premier album, Le Baptême, en tant que musicien additionnel, ndlr]. Mais cette fois, on a vraiment pris notre temps pour le faire…

Tourner dans d’autres pays, sur d’autres continents, cela influence-t-il toujours autant votre musique, d’ailleurs souvent étiquetée « world music » ?

Cyril Atef : On jouera en Afrique, courant septembre… J’espère qu’on aura quelques claques musicales !
Vincent Segal : Ailleurs ou ici, il y a toujours quelque chose à prendre – surtout dans un festival, où sont brassées différentes énergies et cultures musicales. Quand on part en tournée, on n’est pas nombreux et on ne ressemble ni à des touristes ni à un groupe entouré de sbires. Sur place, on s’imprègne de tout ce qu’on voit, de tout ce qu’on entend : c’est toujours une expérience forte, et pas seulement musicale. Mais nos nombreux allers-retours nous permettent de prendre du recul par rapport à la musique : on entend quelque chose qui nous marque, qu’on va répéter, retravailler, et finalement comprendre.

« Avant l’enregistrement d’un disque, on se voit, on discute de ce qu’on va faire. Et pendant l’enregistrement, on joue live, d’une traite, sans "lifting" ».

Vincent Segal

Les mots « énergie » et « spontanéité » semblent caractériser au mieux Bumcello. Plus que pour tout autre groupe, la scène est-elle une raison de vivre pour le duo ?

Cyril Atef : C’est très important, cet échange avec des gens qui se déplacent pour nous voir, qui sont curieux. L’énergie qu’on donne sur scène, ils nous la retransmettent.
Vincent Segal : Jouer devant un public, je n’ai fait que ça toute ma vie, et c’est tout ce que je sais faire ! Avec plaisir ! Mais j’ai aussi besoin d’être seul. Le live me permet d’être en contact avec des gens, et j’y donne beaucoup de choses. Mais après un concert, je suis crevé et j’aime me retrouver seul dans ma chambre d’hôtel. Je suis un homme de scène mais aussi de solitude. C’est une vie, un métier, vraiment particuliers.

L’improvisation, aussi, est le maître mot, et par extension le maître d’œuvre de vos performances scéniques. Ne vous imposez-vous aucune répétition avant un concert ?

Cyril Atef : Jamais. On se tape dans la main et on monte sur scène. C’est aussi simple que ça.
Vincent Segal : Même si on s’est disputés dans la journée : ce rituel nous réconcilie toujours. Et puis surtout, c’est une façon, pour nous, de respecter notre travail, notre musique, et bien sûr notre public.

Et en studio, c’est aussi de l’impro’ ?

Vincent Segal : Avant l’enregistrement, on se voit, on discute de ce qu’on va faire : on ramène souvent, l’un et l’autre, plus d’idées que de compo’. Et pendant l’enregistrement, on joue live, d’une traite, sans « lifting ». La seule intervention permise, c’est, a posteriori, le raccourcissement d’un morceau. Mais pas pour le mettre au format radio « 3 minutes maximum » !
Cyril Atef : On est vraiment mauvais, pour le minutage ! Par exemple, en studio, avant de jouer et d’enregistrer Hey Hey Hey Hey Hey pour Lychee Queen, on savait seulement qu’on avait deux mélodies autour desquelles il allait falloir improviser. Résultat : le morceau dure 8 minutes ! Mais c’est évidemment celui qui ressemble le plus à du live.
Vincent Segal : Le fil conducteur de ce nouvel album, c’était surtout « avoir un bon son »

Puisque Bumcello est avant tout un groupe live, pourquoi ne pas mettre en ligne certains de vos concerts ? Après tout, votre façon de composer, d’enregistrer, de jouer ébranle déjà le schéma classique de la conception d’un album ou d’un concert ; pourquoi n’iriez-vous pas à l’encontre des diktats de l’industrie de la musique ?

Vincent Segal : Qu’on me dise qu’un musicien joue d’abord sur scène et dans la rue, je suis à cent pour cent d’accord. Si je devais manquer d’argent, j’irais jouer dans la rue et ferais vivre ma famille en faisant la manche sans aucun problème. Mais j’adore aussi les disques – l’objet. On a toujours cette image d’une industrie du disque avec ses tauliers qui s’en mettent plein les poches. Pourquoi avoir oublié que cette même industrie a permis l’invention de machines et de supports – vinyles, CD – merveilleux ? Et puis j’adore travailler avec l’équipe de tôt Ou tard [division du groupe Warner, et label de Bumcello depuis 2002, ndlr] : au contraire de plus gros labels qui négligent souvent les « petits » artistes, c’est une infrastructure qui nous a toujours soutenus, même si Bumcello ne vend pas beaucoup. Le plus dur, selon moi, c’est surtout que les gens écoutent plus de musique qu’ils n’en font. Et ça, c’est dommage…

Et quand vous retrouvera-t-on sur scène ?

Vincent Segal : Quelques concerts sont prévus, mais à l’étranger. Notre prochain rendez-vous – le plus important de la rentrée ! – avec le public français, c’est « Bumcello joue Bumcello » pendant le festival Jazz à la Villette. Et pour ma part, je serai du 20 au 25 novembre sur l’opéra de Steve Nieve [Welcome to the Voice (Deutsche Grammophon, 2007), ndlr], le clavier d’Elvis Costello, au Théâtre du Châtelet.

LYCHEE QUEEN, DE BUMCELLO (TÔT OU TARD, 2008)
« BUMCELLO JOUE BUMCELLO » + INVITÉS (CHOCOLATE GENIUS, LATEEF THE TRUTHSPEAKER, TOMMY JORDAN, HILAIRE PENDA…), LE 11 SEPTEMBRE 2008, AU FESTIVAL JAZZ À LA VILLETTE À LA CITÉ DE LA MUSIQUE (PARIS)

Mickaël Pagano, 2008

© PHOTOS : DR, CLAUDE GASSIAN, ROBERT GIL, JULIEN MIGNOT