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Faire
œuvre durable

GOOSE
« Endless »

Depuis son premier succès, GOOSE a toujours fait d’un nouvel enregistrement un point de départ, parfois de repère, jamais de retour. Pendant vingt ans, l’itinéraire discographique du quatuor électro-rock ainsi que le parcours plus personnel accompli par chacun de ses membres ont donc mis le groupe en mouvement dans un perpétuel (re)commencement.
Mais Endless, la dernière composition de GOOSE, poursuit une autre fin dans sa démarche même.
Cette fois, leurs expériences – aussi bien les connaissances acquises que l’étude des premiers pas – et les divers cheminements – de la caresse à la perfection d’un projet (album, carrière, relation) – dirigent le désir et le processus créateurs de Mickael Karkousse, David Martijn, Bert Libeert et Tom Coghe. Pareil à des notes de voyage, Endless témoigne de l’étendue de talents regroupés, de leur quartier général artistique à Courtrai, en Belgique, au légendaire Motorbass Studio du 18e arrondissement de Paris.
GOOSE, dont la destinée paraît désormais impossible à interrompre, aurait-il signé une œuvre majeure, à la jeunesse éternelle ?
GOOSE (de gauche à droite : David Martijn, Bert Libeert, Mickael Karkousse et Tom Coghe) © David Martijn

Discotexte : Ce cinquième album, Endless (Safari Records / Universal Music Belgium, 2022), sort vingt ans après la sortie de votre tout premier single sous le nom de GOOSE, Audience. Que pensez-vous du chemin parcouru depuis, même sans la camionnette qui vous a conduits de concert en concert à vos débuts ?

Mickael Karkousse  : Notre camionnette ? On l’avait complètement oubliée, à vrai dire… En revanche, à propos de nous, il y a désormais tellement de choses à dire ! (rires) GOOSE, c’est un voyage, depuis le début. Et ce qui le rend exceptionnel, c’est qu’on l’a préparé à quatre et qu’on continue de le faire collectivement aujourd’hui… On est devenus qui on est ensemble notamment parce qu’on a tous grandi ensemble : on s’est passé des disques – c’est-à-dire qu’on les écoutait autant qu’on se les prêtait –, on a appris la musique et à jouer de nos instruments presque en même temps. Voilà pour nos débuts. Ce qui a changé après ? Pas grand-chose, en fait. C’est ce qui fait la beauté et donne tout son sens au titre Endless : ça ne désigne toujours pas la fin d’une carrière, bien au contraire. Je dirais qu’on vient tout juste d’arriver au moment où l’on s’aperçoit que l’on peut poursuivre notre chemin. C’est cool, non ? D’ailleurs, on sent beaucoup l’envie, l’énergie, l’enthousiasme, la force et le fun qui nous animent, dans ce nouvel album. Notre parcours musical a pourtant régulièrement changé de cap avec chaque nouveau projet, mais on s’est toujours pleinement investis, en allant à la recherche de ce qui nous excite sur le moment. Par exemple, pour notre premier album, Bring It On (Skint Records, 2006), c’était ni plus ni moins l’excuse de sortir de notre ville, de partir jouer ailleurs et de connaître à notre tour les réactions d’un véritable public ! On avait bien remarqué comme tout le monde allait danser sur les DJ sets de 2 Many DJ’s [duo de DJ belges formé par les frères Stephen et David Dewaele, plus tard fondateurs du groupe électro-rock Soulwax, ndlr] dès qu’ils se produisaient quelque part, et on s’est dit : « Mais nous aussi, on est capables de faire ça en live ! » C’était donc notre première et principale intention. Avec le deuxième album, on a été un peu plus subtils : Synrise (iK7 Records, 2010) est plus mélodique, avec beaucoup de synthés, et très inspiré par des bandes originales de film. Avec le troisième album, Control Control Control (Safari Records / Universal Music Belgium, 2013), on souhaitait transmettre l’émotion du live : il est franchement plus énergique, plus rock. Enfin, le quatrième, What You Need (Safari Records / Universal Music Belgium, 2016), avait quant à lui un côté plus pop, plus « songwriting », peut-être plus mélo aussi…

GOOSE, "What You Need" (Safari Records / Universal Music Belgium, 2016) © DR / Willy Vanderperre

Ce dernier album studio était certainement le plus posé, le plus pondéré de votre discographie…

Mickael Karkousse : Oui, c’est vrai. On l’a enregistré à Hollywood, L.A., avec Jason Falkner [musicien et producteur américain, ndlr], qui vient justement d’un truc plus classique. On est allés vers lui parce c’est un artiste qu’on aimait beaucoup, mais surtout parce qu’on est tous de grands fans de AIR [duo de musique électronique français, ndlr] – c’est d’ailleurs grâce à sa collaboration avec eux qu’on l’a connu [Jason Falkner a chanté sur 10 0000 Hz Legend (Source / Virgin, 2001) et joué de la basse sur Talkie Walkie (Source / Virgin, 2004), ndlr].
David Martijn  : On aimait bien le côté « West Coast vibe », aussi…
Mickael Karkousse : Et comme chaque album est une évolution voire une petite réaction par rapport au précédent, on a ensuite sorti le live GOOSE NONSTOP (Safari Records / Universal Music Belgium, 2018), avec lequel on a essayé de trouver une manière originale d’aller sur scène, en réinterprétant nos morceaux pour une expérience plutôt dance. On a continué dans le même esprit avec l’EP Something New (Safari Records / Universal Music Belgium, 2021), et puis on s’est vite dit qu’on était prêts pour aller chercher quelque chose de neuf, d’inspirant et d’excitant pour un cinquième album. On ne voulait plus d’une simple collection de titres mais, une fois encore, véritablement trouver une émotion inédite, un nouveau début pour aller encore plus loin.

J’aimerais reformuler ma première question : avant même de vous projeter sur ce nouvel album et ce qu’il vous procurerait, quel regard portiez-vous sur le passé du groupe : étiez-vous fiers ; nostalgiques ? Aviez-vous des regrets ?

Mickael Karkousse : On était ravis et fiers. Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas, mais on ne peut pas vraiment avoir de regrets à formuler parce que chacune de nos décisions a été prise à l’unanimité : sur le moment, c’était forcément le meilleur choix possible puisqu’on était tous les quatre d’accord. Et même si cela a pu être difficile parfois, musicalement, on a toujours avancé, ensemble, et on a toujours tout vaincu. C’est la grande force de GOOSE.

GOOSE, "GOOSE NONSTOP" (Safari Records / Universal Music Belgium, 2018) © DR / Diederik Serlet
GOOSE, "Something New" EP (Safari Records / Universal Music Belgium, 2021) © DR / Bart Stolle

Imaginiez-vous, il y a vingt ans, que vous en seriez là aujourd’hui ?

Mickael Karkousse : Je me rappelle surtout qu’à l’époque où nous n’avions pas encore sorti de CD – oui, parce qu’on parlait de CD, en ce temps-là ! (rires) –, je voyais les autres groupes qui en avaient déjà sorti trois ou quatre, et je trouvais ça tellement cool, et je m’imaginais évidemment le jour où, à notre tour, nous allions en avoir un, puis deux, puis trois, puis quatre à notre actif… Et : « Waouh ! » Aujourd’hui, cinq albums !
Bert Libeert  : Mais tu n’as pas encore réalisé ton rêve d’un double CD !
Mickael Karkousse : Oh oui ! (rires) C’est quelque chose que je veux faire depuis très longtemps : pas un double album, mais juste un double CD, avec son plateau spécial pour deux disques à l’intérieur du boîtier ! (rires) Ceci dit, il y a eu plein de moments, pendant l’écriture d’Endless, où j’ai pensé qu’on aurait pu en faire un double album – parce qu’on a vraiment écrit beaucoup de morceaux ! Un peu comme ce qu’avait fait The Smashing Pumpkins [groupe de rock alternatif américain, ndlr], avec Mellon Collie […and the Infinite Sadness (Virgin Records, 1995)] : il est énorme, cet album ! Qui sait : peut-être un jour ?

Vous en parliez tout à l’heure : après la tournée-concept GOOSE NONSTOP, enregistrée pour un album live en 2018, puis l’EP Something New avec ses cinq titres électro et leur remix il y a seulement un an, GOOSE avait laissé ses auditeurs sur une note clubbing. Rien ne laissait présager un retour à la facette rock du groupe…

Mickael Karkousse : C’est toujours cette idée de contrecoup et d’évolution… GOOSE NONSTOP et Something New sont très électroniques : les synthés y parlent à notre place. On a voulu se détacher des ordinateurs, des machines, et avoir de nouveau cette liberté de prendre une guitare et chercher des accords, de se mettre au clavier et trouver des mélodies, et finalement de laisser s’installer une certaine spontanéité, et accepter, aussi, ce qu’on appelle les « happy accidents », c’est-à-dire des heureux hasards, des concours de circonstances. Voilà exactement où on en était quand on a commencé à travailler sur cet album : on voulait jouer, avant tout – et surtout ne rien anticiper : ne penser ni à la direction de l’album ni à sa production… On avait bien quelques petites idées : des envies de guitares et de synthés, et, principalement, la volonté de ne rien s’interdire. C’est pour ça qu’on a écrit tant de morceaux pendant la préparation de l’album dans nos studios, à Courtrai. Et puis, au fur et à mesure de nos séances de travail, de nos discussions, on a distillé notre musique en passant d’une bonne vingtaine de titres à quinze, puis treize, pour finir avec les dix « essentiels ». Endless s’est formé de lui-même parce qu’on a justement toujours laissé suffisamment d’espace pour accueillir ces aléas, et ce jusqu’au moment où on est venus ici, à Motorbass, à Paris. On avait alors la structure de l’album mais on n’en avait pas encore toutes les couleurs…

Je sais que vous avez l’habitude de travailler à l’instinct. Mais ne craignez-vous pas de décevoir votre public en allant invariablement à contre-courant de vos productions passées ?

Mickael Karkousse : Je crois, au contraire, que c’est exactement ce que nos fans apprécient : que nos albums soient toujours très personnels, à notre image. On admire depuis longtemps des groupes – d’ailleurs tous français ! – comme AIR, donc, mais aussi Phœnix [groupe d’indie pop, ndlr], Daft Punk [duo de musique électronique séparé en 2021, ndr] : quand on était plus jeunes, on attendait tous impatiemment la sortie de chacun de leurs albums, parfois pendant trois, quatre ans, en sachant qu’ils étaient en train de préparer quelque chose, et puis « paf ! », le disque était là, et c’était un tout nouveau monde qui s’ouvrait à nous. C’est cet éblouissement qui nous a toujours inspirés. On rejoint complètement cet esprit et on reprend un peu cette manière de travailler, en espérant que d’autres jeunes musiciens auront aussi l’envie et trouveront la volonté de ne pas prendre le chemin le plus facile pour toujours essayer d’avancer, et de surprendre les gens.

AIR (Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin) © Ora-ïto
GOOSE (de gauche à droite : Bert Libeert, David Martijn, Mickael Karkousse et Tom Coghe) © Charlie De Keersmaecker
GOOSE, "Endless" (Safari Records / Universal Music Belgium, 2022) © DR / Elke Verschatse

On a le sentiment que GOOSE évolue sans cesse, se remet en question en explorant de nouvelles sonorités, ambiances et émotions. Comment expliquez-vous ce qui ressemble à une constante quête identitaire ?

Mickael Karkousse : Simplement parce qu’en tant qu’être humain, on évolue tout le temps. On essaie d’avoir la même progression dans notre musique.

Mais ce doit être plus compliqué pour un groupe tétracéphale…

Mickael Karkousse : Oui, c’est vrai. C’est ce qui fait la complexité et l’unicité du groupe : nous sommes quatre compositeurs, quatre producteurs, et chaque voix est aussi puissante qu’une autre. Voilà pourquoi ça prend du temps, aussi : il s’agit surtout de trouver un terrain d’entente. Quand on commence à penser, à réfléchir à un album, chacun se met à écrire, à composer, et tout au long de la route, on découvre des points communs dans nos recherches ou leurs aboutissements qui nous permettent d’avancer ensemble. Il est impossible d’expliquer quoi que ce soit au début du processus : tu as une idée en tête, mais ça ne veut pas nécessairement dire qu’un autre a le même concept ou la même émotion en tête que toi ; et donc, on doit passer par quelques « expérimentations » avant de finalement se comprendre à travers la musique.
David Martijn : La chanson Endless est le premier morceau qui nous ait très vite réunis…
Mickael Karkousse : Oui, les émotions dégagées étaient identiques pour les quatre membres du groupe ; on avait dès le début tous les ingrédients qui nous intéressaient pour composer le morceau. Et c’est d’ailleurs pour ça qu’on a voulu qu’Endless soit le titre de l’album : parce que ce morceau était vraiment important pour nous. Il l’est devenu aussi grâce aux mots qu’on a posés dessus : au départ, les paroles ne parlaient pas exactement de nous en tant que groupe mais plutôt d’une relation, installée depuis très longtemps, dont tu penses qu’elle cessera peut-être un jour, mais que ce n’est pas une fin en soi parce que ça peut toujours évoluer dans le bon sens. On s’est fait la remarque plus tard : « Merde ! Mais c’est aussi comme ça dans le groupe ! » On est ensemble depuis de si longues années qu’on a l’impression de pouvoir continuer ainsi indéfiniment. Pourtant, ça demande énormément de temps et de travail, et ça nécessite de s’investir, de donner beaucoup d’amour au projet. Et beaucoup de confiance – sinon, comment trouver le courage d’avouer, quand même, qu’on n’imagine pas pouvoir être ou faire mieux, maintenant ? (rires) Mais on y parviendra ; on pourra toujours continuer. Cette confiance, on l’a illustrée sur la pochette : ce n’est pas qu’on aime spécialement les chats, mais ces yeux énormes qui te fixent sont ceux que l’on a quand on est sûr de soi – quand on est capable de « regarder les gens dans les yeux » –, ou, parfois, quand on est très amoureux, aussi…

Justement, en 2010, c’est un public grandissant qui vous a fait de l’œil puisque le succès de Synrise a définitivement propulsé GOOSE au-delà des frontières belges. Êtes-vous conscients et en accord avec l’idée qu’il y a eu un avant- et un après-Synrise ?

Mickael Karkousse : Oui et non. Parce qu’il y a encore des gens qui ne connaissent pas Synrise
David Martijn : Peut-être en Belgique ?
Tom Coghe  : Oui, là-bas, ce single, c’est notre tube !
Mickael Karkousse : On est fiers de ce titre… Parce qu’on l’a vraiment fait comme on le sentait. Ce n’est pas un morceau où l’on peut se dire : « Il est écrit pour faire un tube » – il n’y a presque pas de voix, aucun mot, pas vraiment de refrain à part le « Wou-ou-ouh », et il n’est pas construit selon une structure pop. C’est quelque chose d’à part, mais qui parle à tellement de gens !

Bert Libeert : On est obligés de le jouer à chaque concert, maintenant. C’est un morceau qui ne nous appartient plus : il appartient au public.
Mickael Karkousse : Oui. Et avant même qu’on commence à le jouer – encore et toujours avec plaisir –, le public chante déjà « Wou-ou-ouh », à l’instar de trente ou soixante mille supporters réunis dans un stade de foot pour voir leur joueur préféré !
David Martijn : C’est un hymne !
Tom Coghe : Synrise génère une émotion véritablement collective – une harmonie.

GOOSE, "Bring It On" (Skint Records, 2006) © DR / Elke Verschatse
GOOSE, "Synrise" (iK7 Records, 2010) © DR / Storm Thorgerson

Pour autant, GOOSE se fait toujours aussi rare sur les ondes ou sur les scènes d’outre-Quiévrain : qu’est-ce qui vous a empêché de connaître un engouement pérenne ?

Mickael Karkousse : Ce n’est pas toujours facile… C’est ça, aussi, la musique : il est beaucoup question de tendances ; alors, parfois tu es dans la vague, et parfois non. On peut toujours penser qu’on mérite d’être là, d’appartenir à un mouvement et d’avoir droit à l’estime, mais la seule chose que l’on puisse vraiment faire, c’est persévérer. Parce que ça finit toujours par payer. Et j’ai envie de croire que ce jour-là est venu pour GOOSE, avec cet album et cette équipe… Tu dois savoir qu’avec Bring It On, on était l’un des groupes chouchous du magazine anglais NME ; donc, quatre ans plus tard, avec Synrise, on s’est dit, confiants : « Ok, on continue sur la même lancée avec le deuxième album ! » ; les journalistes l’ont écouté, et ils ont été formels : « Non. Pas bon. » Leur avis a eu un impact terrible parce qu’en Angleterre, voire en Europe, beaucoup de gens suivaient ce qu’ils écrivaient – ça marchait comme ça, à l’époque. De plus, on n’avait pas fait un album drum and bass ou dubstep – les tendances d’alors… Mais j’ai l’impression que tous les groupes qui participaient comme nous d’une autre vague musicale – Digitalism [duo de musique électronique allemand, ndlr], Boys Noize, Soulwax, les artistes du label français Ed Banger… – ont vécu plus ou moins la même chose : pendant plusieurs années, on a voyagé de festival en festival, on se côtoyait tous même si chacun avait son univers, et puis tout s’est un peu comme évanoui… Tout le monde s’est remis à chercher sa route… Mais c’est cool de voir qu’aujourd’hui on est tous encore là à faire notre musique !

Avez-vous ressenti assez tôt le besoin de vous affranchir d’une industrie du disque et de ses codes, dont on sait aujourd’hui qu’ils sont obsolètes ?

Mickael Karkousse : On a ça en nous – c’est peut-être le côté punk de GOOSE ? On aime écrire nos propres codes, retenir ce qui fonctionne le mieux pour nous. C’est une recherche perpétuelle, une forme d’évolution. Aujourd’hui, on est évidemment comblés de sortir notre musique sur notre label, Safari Records, et d’avoir notre studio, parce que c’est important d’avoir notre groupe en main et d’avancer comme on l’entend. Les codes sont souvent dictés, c’est vrai, mais par une industrie qui, la plupart du temps, ne sait pas ce qu’elle écrit – Daft Punk avait bien réussi à créer les siens !

Fin 2018, vous avez donc inauguré un espace que vous avez imaginé et entièrement dédié à votre créativité, Safari Studios.

Mickael Karkousse : Oui. Avant cela, on avait une chambre au-dessus d’un café… On rêvait depuis longtemps d’avoir un plus grand espace pour travailler individuellement sur d’autres projets – parce qu’on écrit, on compose tous les quatre – tout en restant ensemble sous le même toit. Non seulement on ressent le besoin de rechercher d’autres choses, de développer d’autres projets, à côté du groupe, mais on aspire à ne pas être GOOSE tous les jours et qu’il s’agisse plus de nous quatre en tant que collectif, dans un même lieu. Et cela ne peut qu’augurer une longue vie pour GOOSE : dès lors qu’un membre – un individu – est satisfait de pouvoir se réaliser en tant qu’artiste, il apportera toujours de nouvelles choses quand le groupe se réunira de nouveau ; sinon, on est dans une frustration qui se révèlera fatalement néfaste pour le groupe. Donc on se donne la liberté de travailler chacun pour soi, dans de bonnes circonstances et avec tout le temps nécessaire, mais aussi de s’ouvrir, de collaborer avec d’autres gens.

Safari Studios est d’ailleurs votre quartier général artistique où chacun d’entre vous peut décider, quand il le veut, de venir écrire, enregistrer et produire de la musique, même si ce n’est pas celle de GOOSE… Ainsi David y compose ses B.O. pour des fictions ; Bert y étend son projet techno B1980 ; Tom y approfondit d’étroites et polyvalentes collaborations, notamment avec Sherman ; et Mickael vient d’y réaliser son premier EP solo, Where Do We Begin (Safari Records, 2022),… Voir, fouler d’autres horizons, est-ce important pour vous ? Est-ce utile au groupe ?

Mickael Karkousse : C’est ce que j’expliquais à l’instant. Dans les débuts d’un groupe, tout est nouveau, tout est excitant : on commence à jouer de la musique, et on a beaucoup à apprendre, ensemble… Mais il arrive toujours un moment où l’un d’entre nous voudra évoluer, s’épanouir différemment. On s’est donc donné cette liberté d’aller chercher autre chose pour éviter les tensions dans le groupe : notre amitié est bien trop importante ! En résumé, ce n’est pas utile : c’est essentiel ! C’est l’oxygène de GOOSE.

David Martijn, bande originale de la série "War of the Worlds" créée par Howard Overman (Lakeshore Records, 2020) © DR
Safari Studios © David Martijn
Safari Studios © David Martijn

David Martijn : Oui, c’est naturel…
Mickael Karkousse : Pour nous, oui, mais pas pour tout le monde… Demande à un autre groupe : « Est-ce que ton batteur peut venir faire des trucs avec nous ? » « Euh, je ne sais pas… » Va-t-on pouvoir – ou vouloir – dire s’il est disponible ? Et comment savoir s’il nous aimera toujours après ?

Un groupe s’octroie l’exclusivité, même tacite, de ses membres…

Mickael Karkousse : Oui, et c’est normal ! C’est difficile de se lâcher ! Mais ça aussi, on a dû en prendre connaissance puis l’accepter, ensemble. Et pour être honnête, ça n’est pas venu du jour au lendemain. Bert, le premier, à une période où on ne se produisait pas beaucoup, a exprimé l’envie de sortir, de jouer : il a alors entrepris son projet électronique – il avait plein d’idées ! Au même moment, Dave a eu la possibilité de travailler pour un réalisateur qui venait de signer un documentaire à propos d’un photographe [OdysSea (Las Belgas, 2013), de Jimmy Kets, portrait du photographe belge membre de l’agence Magnum Photos Carl De Keyzer, dont David Martijn a écrit la musique originale (Safari Records / Universal Music Belgium, 2013), ndlr]. Peu à peu, ça a piqué la curiosité des gens : « Tiens ? Il fait autre chose que GOOSE ? » Voilà comment tout a commencé. Pour Tom et moi, c’est arrivé un peu plus tard : on n’était probablement pas aussi prêts que les deux autres à s’aventurer sur de nouveaux terrains de jeux. Personnellement, je ne savais pas comment j’allais faire la différence entre une musique pour GOOSE et une autre. Je ne savais pas. Pour le morceau-titre de mon EP, Where Do We Begin, notamment, je me suis longtemps posé la question – peut-être seulement parce qu’il plus up tempo que les autres ? On en a parlé, et Dave m’a dit : « Non, on ne l’utilisera pas. » Ce n’est pas que le reste du groupe n’aimait pas : « Ce morceau te ressemble : c’est ton émotion. Tu devrais continuer de l’arranger, mais pour mieux te l’approprier complètement… » Ils m’ont aidé à prendre confiance en moi, à me convaincre que je pouvais peut-être écrire en solo…

Avez-vous besoin du regard, de l’avis des trois autres quand vous travaillez seul sur un projet ?

Mickael Karkousse : Non… Il n’est pas utile pour Dave, par exemple, qui compose beaucoup de bandes originales, de nous avoir à ses côtés pour regarder ou écouter ce qu’il fait – même si on est ses premiers fans.
David Martijn : Votre avis m’intéresse. C’est évident.
Bert Libeert : Oui, bien sûr, mais pour autant, il n’est pas nécessaire au bon déroulement de ton travail…
Mickael Karkousse : L’intérêt d’avoir un projet personnel, c’est justement de pouvoir faire exactement ce que l’on veut. C’est aussi un exercice difficile, parce que les premiers regards sur ton travail doivent être introspectifs, autocritiques : c’est à toi seul d’explorer, d’analyser, et par la suite de trouver toutes les solutions si tu rencontres des difficultés.
Tom Coghe : C’est bien de pouvoir se parler, parfois. Les autres sont là quand tu as des questions.
Mickael Karkousse : Ou des problèmes techniques…
Tom Coghe : …et pratiques. On forme une équipe !
David Martijn : En fait, je ne me sens et je ne suis jamais seul : sur mes B.O., ils m’aident notamment beaucoup lors du mixage…
Mickael Karkousse : Bon, disons qu’on reste toujours bien encadrés même quand on est sur un projet solo…

Mickael Karkousse, "Where Do We Begin" EP (Safari Records / Virgin Music Benelux, 2022) © DR / Charlie De Keersmaecker
B1980, "Ambush" EP (Lektroluv / N.E.W.S., 2016) © DR / Pierre Debusschere
Sherman, "Best of Us" single (Josbozz, 2018) © DR / Francis Vanhee
GOOSE (de gauche à droite : Tom Coghe, Bert Libeert, David Martijn et Mickael Karkousse) © David Martijn
« On est ensemble depuis de si longues années maintenant qu’on a l’impression de pouvoir continuer ainsi indéfiniment.
Et pourtant, un projet
demande à chacun énormément de temps, de travail, d’amour
et de confiance.
Mais on y parviendra. »

Mickael Karkousse

GOOSE (de gauche à droite : Mickael Karkousse, David Martijn, Bert Libeert et Tom Coghe) © Charlie De Keersmaecker

Mickael en parlait il y a peu : comment faites-vous la distinction entre un morceau pour GOOSE et un autre qui ne l’est pas ? Comment parvenez-vous à savoir si une idée, quelle qu’elle soit, va retenir l’attention du au reste du groupe ou si elle ne conviendra qu’à votre projet personnel ?

Mickael Karkousse : Pour moi, c’est encore tout neuf, trop récent… Je le sais, maintenant, je le sens, mais je ne saurais pas l’expliquer…La musique, ce sont des émotions avant tout. Et une chanson sur laquelle on commence seulement à travailler et qui nous plaît à tous les quatre, c’est une émotion collective, générale : elle seule confirme qu’il s’agit d’un titre pour le groupe. À l’inverse, sans aller jusqu’à dire : « C’est un mauvais morceau », il suffit que l’un de nous dise : « Je ne le sens pas trop… » ou « Je ne comprends pas bien où tu veux aller avec ça… » pour reconnaître implicitement qu’il n’appartient pas à GOOSE mais plutôt, peut-être, à l’un de nos projets – lesquels, je crois, sont en fait assez éloignés de l’identité de GOOSE.
David Martijn : Oui, c’est toujours très clair quand un morceau est pour GOOSE.
Mickael Karkousse : Et puis, quand tu travailles, tu te mets en condition : « Bon, aujourd’hui, je vais bosser sur mon projet. » Dans ta tête, c’est un autre monde…
Bert Libeert : Attention, il ne s’agit pas d’un trouble de la personnalité ! On parle d’un seul individu avec diverses émotions et/ou différentes manières de les exprimer ; les communiquer à travers GOOSE en est une, mais il y a tant d’autres façons de les extérioriser : par le biais d’un autre genre de musique, un autre groupe…
Mickael Karkousse : Une chanson peut d’ailleurs avoir de nombreuses interprétations. Celles de l’album, telles que tu les connais, c’est le résultat d’une réflexion, d’une collaboration de plusieurs personnes ; nul doute que si j’avais gardé et travaillé l’un de ces titres pour mon projet solo, sa forme finale aurait été complètement différente : j’en aurais fait une tout autre version.

N’est-ce pas plus compliqué que cela, étant donné que GOOSE se renouvelle sans cesse ?

Mickael Karkousse : Cette séparation dépend essentiellement des phases de travail dans lesquelles on se trouve. Actuellement, la réalisation de cet album de GOOSE étant derrière nous, on est déjà sur d’autres projets. Bert, par exemple… (s’adressant à lui) Peut-on en parler ?
Bert Libeert : Oui… Je prévois plusieurs sorties, cette année : l’une est à paraître sur Zone Records (Paris), et l’autre est une collaboration avec Boys Noize.
Mickael Karkousse : Voilà, c’est déjà reparti ! Bert est en train de s’oxygéner ! (rires) C’est comme ça que ça se passe… Je comprends que tu veuilles trouver une logique, mais il n’y en a pas : il s’agit plus d’un processus organique.
Bert Libeert : Il y a GOOSE, il y a nos projets solo, mais dans nos ordinateurs, il faut savoir qu’il y a encore vingt autres desseins à l’étude, dans l’attente d’être suffisamment organisés pour sortir ! Nous avons tous beaucoup, beaucoup d’idées !
David Martijn : C’est vrai : on est extrêmement productifs. Mais je dois bien avouer qu’en travaillant sur mes soundtracks, il m’est toutefois arrivé de composer un riff et de me dire que ce serait bien pour GOOSE : alors je l’ai enregistré dans un autre dossier…
Bert Libeert : Oui, bien sûr ! Moi aussi, ça m’arrive de temps en temps…
Mickael Karkousse : Le plus important – et c’est une méthode qu’on gère de mieux en mieux –, c’est de bien aménager tes temps de travail : décider de passer à quelque chose d’autre une fois que tu as fait toutes celles que tu voulais ou devais faire avant ; et alors tu as à l’esprit ce pour quoi tu vas travailler. Moi, j’avais plein de trucs romantiques, sensibles, en tête : en fait, j’étais prêt pour faire autre chose que GOOSE.

Safari Studios est également présenté comme un espace multifonctionnel, avec plusieurs studios d’enregistrement et une collection d’instruments et de matériel vintage. Pourquoi être venus enregistrer Endless ici, en France, à Motorbass, alors que vous aviez tout à domicile ?

Mickael Karkousse : (rires) Le moment est donc venu de parler de Victor Le Masne [musicien français et co-producteur de l’album, ndlr]… Je suis allé chercher Victor pour produire mon EP solo. Travailler avec lui, ça a été tellement agréable ! Et il a amené et sorti des choses qu’on aimait beaucoup en tant que GOOSE. On a tous eu la même réaction : « Waouh ! » C’était une nouvelle manière de regarder la musique : Victor va à la recherche de l’émotion. Il ne se contente pas seulement de ce que toi, musicien, tu trouves cool – parce que c’est « original », « audacieux » voire « osé », ou un peu « dangereux » – et va fouiller ailleurs, pourquoi pas dans une autre mélodie, pour trouver une émotion et la grandir. On avait déjà de nouveaux morceaux pour GOOSE, alors on en a discuté avec Victor et commencé à travailler ensemble dessus ; c’est en parlant des sons qu’on cherchait, et de notre besoin de sortir de notre studio – parce qu’il fait finalement bien trop partie de notre vie quotidienne, et qu’il est parfois essentiel, pour faire un album, de t’isoler de ta famille, des tâches ménagères, etc. – qu’il nous a proposés : « Motorbass, vous connaissez ? Je travaille beaucoup là-bas, avec Antoine [Poyeton, ndlr], l’ingénieur du son… » C’est la combinaison de nos exigences qui lui a fait dire : « Je crois que ça serait vraiment bien pour vous… » C’est pour ça qu’on est allés là-bas : on n’allait de toutes façons pas finir l’album chez nous parce qu’on avait grand besoin de partir afin de se focaliser complètement, uniquement, sur le nouvel album.

Victor Le Masne à Motorbass Studio © David Martijn
Victor Le Masne à Motorbass Studio © David Martijn
Bert Libeert à Motorbass Studio © David Martijn
David Martijn à Motorbass Studio © David Martijn
« Victor Le Masne est de notre génération ; il a exactement les mêmes références que nous – on a aimé les mêmes choses quand on était plus jeunes, grandi avec les groupes de la French Touch –, alors il est devenu comme
le cinquième membre du groupe. »

Mickael Karkousse

Mickael Karkousse à Motorbass Studio © David Martijn
Tom Coghe à Motorbass Studio © David Martijn
GOOSE à Motorbass Studio © David Martijn

Victor Le Masne était très récemment à l’œuvre sur les albums de Gaspard Augé [Escapades (Genesis / Ed Banger Records / Because Music, 2021), ndlr] et de Kavinsky [Reborn (Record Makers, 2022), ndlr]. Ses influences, ses collaborations, étaient-elles importantes pour votre travail ?

Mickael Karkousse : Ce qui nous attirait beaucoup chez lui et qui a rendu notre collaboration très fluide, c’est que Victor et nous sommes de la même génération. On a travaillé avec d’autres producteurs plus âgés que nous, qui avaient déjà beaucoup de mérite dans leur travail, comme David Sardy ou Jason Falkner dont on a parlé tout à l’heure. Pourtant, même si ce dernier a travaillé avec AIR et qu’on imaginait que ça collerait tout de suite entre nous, on s’est vite aperçu qu’il appartenait à une autre famille, un autre courant dans la musique : il est tourné vers quelque chose de plus classique, plus rock. Et nous, on n’est pas comme ça ; allez, je vais le dire : il me semble qu’on fait partie d’une autre génération, plus ouverte d’esprit. Victor avait exactement les mêmes références que nous – on a aimé les mêmes choses quand on était plus jeunes –, alors il est devenu comme le cinquième membre du groupe.

Parce qu’avec son groupe Housse de Racket, Victor Le Masne a grandi avec et au sein de cette French Touch qui vous est chère.

Mickael Karkousse : Oui, voilà ! Nous aussi, on a grandi avec tous ces groupes français, mais de l’autre côté de la frontière. C’est là notre grande différence : quand, nous, on les voyait sur une tournée, lui les voyait probablement au café ! (rires)

GOOSE fonctionne essentiellement à l’instinct. Était-il redevenu nécessaire de confier votre travail à une oreille extérieure au groupe ?

Tom Coghe : Oui, c’était même hyper important. On ne voulait pas finir à l’image du vieux couple qui se connaît tellement qu’il parlemente sans jamais parvenir à une décision… Il fallait s’en remettre à une personne extérieure au groupe, mais en qui on pouvait avoir confiance.
Mickael Karkousse : Victor est d’abord venu chez nous, à Courtrai, pendant deux semaines : là-bas, on a travaillé nos morceaux, on les a joués et il a commencé à rajouter des couleurs à certains, on les a préparés avec précision – l’identité de chacun était très claire pour nous – et on a défini avec Victor tout ce qu’on allait faire à Motorbass. On savait tout ou presque de notre album avant d’arriver ici pour le parfaire. Dans cette continuité, Victor est devenu le capitaine de l’équipe. Il a fait en sorte qu’on commence chaque jour une nouvelle session de travail, c’est-à-dire qu’un morceau, sa version finie, sorte systématiquement en fin de journée ! Il nous a bluffés : « Waouh ! Quelle énergie ! » Parce qu’un groupe, c’est de la musique, mais c’est aussi énormément de psychologie.

GOOSE (de gauche à droite : David Martijn, Tom Coghe, Bert Libeert et Mickael Karkousse) © Mickaël Pagano

Tous les matins, il checkait son petit monde : « Ça va ? T’es toujours satisfait de la session d’hier ? Qu’est-ce que tu en penses ? » Certes, il était dans son rôle, mais sa manière et son efficacité font de lui un grand producteur. Bon, il faut savoir qu’il est quand même capable d’écrire des symphonies grandioses – Victor est un musicien véritablement talentueux – et de diriger tout un orchestre, alors, gérer un quatuor comme GOOSE, ça devait être assez facile pour lui ! (rires)

Vous avez l’habitude d’œuvrer chacun de votre côté pour construire un morceau. Avez-vous conservé cette méthode de travail en compagnie de Victor Le Masne ?

Mickael Karkousse : Rien n’a vraiment changé dans notre façon de composer. Les idées pouvaient être proposées par une, deux, parfois trois personnes à la fois…
Bert Libeert : Il s’agit très souvent d’un collage. L’un d’entre nous aura en tête une toute petite idée, mais une personne à qui il va l’exposer va dire : « Wow ! J’ai justement autre chose qui colle parfaitement avec ça ! » Et cætera. Et, de temps en temps, mais plus rarement, une trouvaille est déjà pleine de mélodies, d’harmonies, de rythmes… Il n’y a pas ni règles ni une manière de faire.
Mickael Karkousse : Notre processus de composition est devenu plus complexe parce qu’on cherche sans arrêt de nouvelles choses. GOOSE n’est pas un groupe que l’on met en studio, avec des instruments, et à qui l’on demande : « Maintenant, écrivez une chanson ! » À nos débuts, oui, on procédait comme ça : on se réunissait le dimanche matin, et on jouait… On n’avait pas encore d’ordinateurs pour enregistrer nos titres.
Bert Libeert : Et puis chacun avait une place bien définie – le guitariste à la guitare, le batteur à la batterie… Aujourd’hui chacun est capable de jouer de tous les instruments.
Mickael Karkousse : On pourrait retenter l’expérience, mais ce qui va en sortir risque d’être très rock ! (rires) Et on manquera peut-être d’originalité ! Plus sérieusement, ce qu’on a tendance à faire couramment, quand on écrit un morceau, c’est de garder le plus beau pour la fin. Ce sont les producteurs qui nous le font remarquer : « Mais pourquoi vous ne le mettez pas dès le début ? Tout le monde veut entendre ça ! » Victor l’a constaté aussi, et il a été très doué pour nous faire comprendre : « Ok, inutile de prendre votre temps, les gars : ce morceau doit commencer là. Let’s go ! »
Tom Coghe : Un son peut être intéressant pour nous, mais pas forcément pour un auditoire. C’est le rôle du producteur de traduire la chanson des musiciens au public – et Victor fut excellent à cet exercice.

Je crois savoir que l’histoire du titre We Are Vibe illustre justement ce savoir-faire…

Mickael Karkousse : Oui ! Au départ, on avait en fait une chanson très longue, composée comme un « trip », avec plusieurs phases, à la toute fin de laquelle on trouvait donc déjà cette suite d’accords et cette ambiance particulières à We Are Vibe, mais encore aucun mot ni mélodie posés dessus… On était alors à Courtrai, toujours en période de préparation, et tous les cinq, on pensait : « Waouh ! Cette fin, elle est tellement cool ! » Quand, finalement, la question s’est posée pour nous : « Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire avec le début du morceau ? » Victor a vite trouvé la réponse : « Ben, on le jette ! On va faire quelque chose avec la fin seulement puisque que c’est elle qui nous emballe tous ! » Cette seule, très courte partie est donc devenue notre base de travail, et on a construit autour – travaillé sur les mots, la mélodie – et fini le « nouveau » morceau, ici. C’est un luxe d’être venus à Motorbass ! C’est vraiment dans cet espace qu’on a enrichi l’album de toute sa magie… Comme je l’ai déjà dit, on avait écrit et préparé tous les titres en amont – à part We Are Vibe, qui a plutôt été créé dans ce studio, donc, et Rock, dont on n’avait guère que la forme à notre arrivée et qui n’était pas aussi « extrême », autant « in-your-face » [« mordant », ndlr] – : tout était là, mais c’est véritablement à Motorbass qu’on a œuvré sur le son, les effets – toute la production.

Justement, Endless me semble bien plus riche que les précédents albums, tant dans la construction des compositions que dans les sentiments révélés par les textes. Je vous trouve extrêmement généreux avec ce cinquième opus…

Mickael Karkousse : C’est vrai… Et ce sont aussi les mots de Victor, qui nous l’a dit exactement de la même façon : « C’est un album très généreux. » Oui, surtout avec les émotions. Et il nous a fallu sauter le pas… Parce que, comme une grande majorité de musiciens, on cache beaucoup, on n’ose pas aller au bout de ce que l’on ressent. Mais la force de Victor, c’est justement de nous avoir forcés à le faire : ne pas dissimuler nos émotions, les faire sortir et même aller au-delà, en les assumant. Une fois encore, il me semble que ce message s’exprime assez bien à travers la pochette de l’album…

« On a le sentiment d’avoir fait Endless à plusieurs mais dans l’unité. On n’avait jamais connu une situation aussi confortable – amicale et humaine.
Voilà pourquoi cet album sonne différemment et qu’on le dit plus "généreux" que les autres. »

Mickael Karkousse

Endless abonde d’effets en tous genres et surtout regorge de voix : je n’ai pas le souvenir d’un précédent dans votre discographie, d’un EP ou d’un album dans lequel il y ait autant de voix doublées ou superposées, de chœurs…

Mickael Karkousse : C’est juste. Et c’était mon souhait dès lors qu’on a commencé à travailler sur cet album : « J’aimerais vraiment qu’on insiste sur la voix. » Ce n’était pas un caprice de chanteur. Seulement, par expérience, je sais bien qu’en studio, le temps est toujours limité ; alors on enregistre le morceau et c’est seulement en fin de journée qu’on te propose : « Il nous reste encore un peu de temps pour des voix… Ça te dit ? » Mais à ce moment-là, tu n’es plus nécessairement ni d’humeur ni dans l’ambiance, parce que…
David Martijn : (interrompant Mickael) Tu es fatigué !
Mickael Karkousse : Oui, mais comme tout le reste de l’équipe, en fait ! « Quoi ? Il veut refaire ses voix ? » (rires) Cette fois, on s’était tous bien préparés à une nouvelle manière de travailler, avec Victor qui m’avait suggéré : « Quand tu le sens, tu me le dis ; on arrête tout, et tu vas chanter. » On a mis son conseil en pratique et ça a très bien fonctionné parce que je sentais le morceau et que je réagissais avec immédiateté – « Maintenant ! J’y vais ! » – à quelque chose qui venait de se passer : l’enregistrement d’une nouvelle guitare ou d’un nouveau synthé, ou je ne sais quoi d’autre qui ajoutait soudain une couleur inédite au morceau. Et surtout, on a traité la voix comme un instrument.
David Martijn : Grâce aux doigts de fée d’Antoine, ingé’ son et lui-même instrument-humain, qui a introduit beaucoup d’effets et de textures, et toujours avec bon goût.
Bert Libeert : Et rapidité, aussi ! Comme pour un live, en studio, il faut faire les balances de chacun ; et à la batterie, ça peut durer longtemps, trop, en tout cas suffisamment pour que tout le monde perde l’envie de jouer. Mais ici, il y avait déjà un kit en place, on me demandait : « Tu veux quel son ? », et hop, ils installaient des micros en un rien de temps, et moins d’une heure après, c’était parti !

GOOSE (de gauche à droite : David Martijn, Tom Coghe, Bert Libeert et Mickael Karkousse) © Charlie De Keersmaecker

Mickael Karkousse : Même chose avec les voix ! J’étais là, avec mon casque sur les oreilles, et ils me parlaient depuis la régie : « T’entends quoi, exactement, sur ce morceau ? » Et je bredouillais mes intentions : « Peut-être un peu de ci ?… et pourquoi pas comme ça ?… » On me répondait : « Ah, ok ! Je vois ! » Je percevais de petits bruits – les murmures étouffés, les cliquetis des boutons – qui provenaient de la cabine, et puis très vite : « Comme ça ? » Alors je faisais le test, régulièrement concluant : « Allô, allô ? Ouais ! C’est exactement ce que je voulais ! » « Super ! C’est parti ! On y va ! » Cette efficacité nous a permis d’avancer à toute vitesse… On a vraiment le sentiment d’avoir fait Endless à plusieurs, mais ensemble, dans une réelle unité : personne n’était là pour « faire le job », tout le monde était ravi de réaliser un bel album. Et c’est vraiment la première fois que cela nous arrive : on n’avait jamais connu une situation aussi confortable, c’est-à-dire chaleureuse, amicale, humaine. C’est certainement la raison pour laquelle cet album sonne différemment des autres et qu’on le trouve, et qu’on le dit plus « généreux ».

Vous aviez donc réuni les meilleures conditions de travail pour sortir le meilleur de vous-mêmes ?

Mickael Karkousse : Exactement.

Une fois n’est pas coutume, la plupart des titres semblent écrits pour le live. Comment envisagez-vous de défendre cet album sur scène ?

Mickael Karkousse : Je crois qu’Endless est l’album dont on a envie de jouer le plus de morceaux dans nos prochains concerts. On avait eu cette même ambition avec le premier, mais bon, c’est justement parce que tu n’as pas encore un grand répertoire que tu aspires à le jouer presque intégralement ! Là, pendant l’écriture, puis pendant l’enregistrement, à plusieurs reprises, on s’est imaginés sur scène en train d’interpréter tous nos nouveaux morceaux. Tu as raison : Endless est définitivement un album qui doit être joué live !
Bert Libeert : Et on est très impatients de le faire…

Pour l’instant, l’album est porté par le single Endless avec un clip constitué d’images d’archives personnelles de vos débuts. Est-ce une façon de rappeler d’où vous venez, l’essence même du groupe, et d’affirmer que vous n’arrêterez jamais de faire de la musique ?

Mickael Karkousse : En tout cas, avec cette vidéo, il n’est pas question de nostalgie. Nous ne nous sommes pas tournés vers le passé : on regarde le présent en se disant qu’on est toujours les mêmes. L’idée, qui nous faisait rire, c’était effectivement de prendre de vieilles images de nous, et d’observer la réaction des gens : certains allaient-ils croire que la musique était l’œuvre de ce groupe de jeunes qu’ils voyaient à l’écran ? Et sur le fond, ils n’auraient pas tort puisque rien n’a changé depuis toutes ces années : on continue de jouer de la musique ensemble.
Bert Libeert : Nous sommes devenus plus adultes. Mais si on a perdu un peu de notre jeunesse, l’énergie est restée la même !

Vous avez incontestablement gardé, préservé cette vitalité et cette détermination de la jeunesse. Vingt ans après les débuts de GOOSE, et au fil des écoutes du dernier album, les mots qui me viennent justement à l’esprit pour qualifier celui-ci, c’est-à-dire le marquer de telles qualités, sont « maturité » et « insouciance ».

Mickael Karkousse : C’est parfait ! Depuis le début de l’interview, tes choix de mots pour parler d’Endless sont vraiment pertinents : tu as très bien ressenti notre musique ! Et tu nous aides aussi énormément à comprendre notre propre album…
Bert Libeert : Merci !
David Martijn : Oui ! Merci beaucoup !

GOOSE (David Martijn et Bert Libeert) © Boy Kortekaas
GOOSE (Mickael Karkousse et Tom Coghe) © Boy Kortekaas

Un album qui se conclut d’ailleurs sur la répétition de cette phrase : « I won’t believe anyone ». Est-ce le leitmotiv d’un groupe résolument indépendant, libre, finalement toujours au volant de sa camionnette, « eyes on the road / heading to nowhere » ? La boucle serait-elle bouclée ?

Mickael Karkousse : C’est tout à fait ça ! J’ai écrit ces mots consciemment parce que nous étions véritablement dans cet état esprit : on avait alors besoin, en tant que groupe, de s’isoler, de s’abstraire d’autres pensées, influences, événements environnants. « I won’t believe anyone. » Ce message, c’était vraiment le nôtre pendant nos sessions de travail pendant lesquelles on se répétait régulièrement : « On n’écoute personne, et on fait notre truc… » C’est tout GOOSE.

GOOSE (Tom Coghe et Mickael Karkousse) © David Martijn
GOOSE (David Martijn et Bert Libeert) © David Martijn
GOOSE sera prochainement en concert en France : le 21 mai 2022 à L’Aéronef (Lille) puis, sur l’invitation de Cut Copy, le 30 octobre 2022 à La Machine du Moulin Rouge (Paris).

ENDLESS, DE GOOSE (SAFARI RECORDS / UNIVERSAL MUSIC BELGIUM, 2022)

Mickaël Pagano, 2022

© PHOTOS : DR, PIERRE DEBUSSCHERE, CHARLIE DE KEERSMAECKER, BOY KORTEKAAS, DAVID MARTIJN, MICKAËL PAGANO,
ORA-ÏTO, DIEDERIK SERLET, BART STOLLE, STORM THORGERSON, WILLY VANDERPERRE, FRANCIS VANHEE, ELKE VERSCHATSE