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Foule sentimentale

Alain Souchon
« J'veux du live »

Voilà presque trente ans de carrière qu’il nous dit qu’il a
10 ans… Mais à l’entendre chanter, à (re)lire ses textes, on ne cherche finalement qu’à le croire tant sa timidité, sa discrétion, sa sensibilité nous touchent.
Douce caresse, donc, que la tournée acoustique du plus nostalgique des chanteurs français : Alain Souchon.

Discotexte : Vous allez sortir un quatrième album live. Pourquoi avoir gravé autant de prestations scéniques, de moments uniques ?

Alain Souchon  : Pas tant que ça, en fait – parce que ça fait longtemps que je chante ! Quatre concerts en trente ans, ça va ! C’est très agréable d’avoir les moyens d’enregistrer d’une manière très professionnelle ce que l’on fait tous les soirs – on ne se rend plus bien compte, parfois. C’est aussi un souvenir formidable. Dix ans après, on réécoute les bandes et on se dit : « Oh la la, comment je chantais ça ! » et « Oh, j’avais cette voix-là ! » Et puis les gens aiment bien : je reçois des mails de personnes qui, à la suite d’un concert, cherchent à savoir si un CD live est prévu. Ce n’est pas de la grande création mais un souvenir avant tout : ça ponctue la vie. Garder un live, c’est accompagner sa mémoire. Moi-même, je me souviens être allé voir Georges Brassens, Paul McCartney…

Justement, qui allez-vous voir en concert ?

Je ne vais pas souvent dans les concerts, alors quand j’en ai l’occasion, je vais d’abord voir mes amis : Michel Jonasz, Laurent Voulzy… Parce qu’on voit les choses différemment : on est anxieux pour eux, et surtout, on ne les juge pas. J’aime bien les concerts de Jean-Jacques Goldman – je suis ébloui par l’affection que le public lui porte, la cohésion qu’il y a entre la foule et lui –, et ceux de Francis Cabrel – je le trouve formidable, professionnel et talentueux : sa voix et sa guitare suffisent pour remplir une salle… J’aime aussi les spectacles un peu plus intimes, comme ceux de Jean-Louis Murat et d’Alain Bashung.

Vous citez une famille de chanteurs français à laquelle vous appartenez. Vous avez pourtant évoqué Paul McCartney, précédemment…

Je suis d’une génération où les Beatles étaient très importants. Quand ils sont arrivés, on avait tous envie d’être les Beatles ! Ils ont sophistiqué, raffiné la musique populaire, qui était bien simpliste. Ils ont marqué le siècle, sans doute : dans leurs compositions, leurs façons d’arranger, d’envisager les harmonies. À côté, les Rolling Stones ne sont que des showmen, des créateurs qui mettaient leurs personnalités de petits voyous au service de la musique – la leur était un peu râpeuse, choquante. Ils avaient une attitude extraordinaire qui nous amusait beaucoup quand on était jeunes : ils faisaient les singes, tiraient la langue, prenaient des positions obscènes, jouaient toujours un petit peu faux de la guitare en disant : « Je vous emmerde ! », mais ils faisaient des tubes ! Cette espèce de révolte qu’ils véhiculaient nous enthousiasmait. Maintenant, ils sont vieux, ils n’inventent plus rien en musique ; mais j’aime qu’ils aient du succès. C’est comme si c’était nous qui avions du succès, que notre jeunesse n’était pas tout à fait finie… Quant aux artistes français que j’adorais – Brel, Brassens –, ils sont tous morts, alors…

Peut-on connaître les coulisses de votre tournée ?

Je fais une tournée spéciale. Je voulais chanter, pendant un an, presque tous les jours, dans des petites salles : pour voir ce que ça faisait. Plutôt que d’être avec, comme d’habitude, une quarantaine de personnes, deux semi-remorques et deux autocars, de faire les Zénith, etc. Cette fois, nous sommes trois musiciens sur scène, une quinzaine de personnes pour les lumières, le son : autant dire une équipe légère. Les salles ont entre 800 et 3000 places, et sont situées dans des coins, des petites villes où les gens n’ont pas l’habitude de voir des chanteurs. Finalement, ça fait plaisir à tout le monde : pour nous c’est un travail différent de ce que l’on a l’habitude de faire – la grosse cavalerie, où l’on est loin de tout, loin du public, derrière des projecteurs… Là, on est très proches des gens, et on joue d’une manière beaucoup plus soft. Ceci dit, ce n’est pas complètement acoustique : il y a des guitares électriques ! Les chansons sont arrangées de telle sorte que trois musiciens puissent les jouer. C’est une autre expérience artistique.

« Chanteur de variétés, c’est une façon de passer ma vie d’une manière fabuleuse. Jouer de la guitare, écrire des chansons, et que les autres les aiment bien, que ça me rapporte de quoi vivre, c’est extraordinaire comme aventure ! »

« J’ suis mal en campagne, mal en ville », mais vous avez besoin des deux pour composer, écrire, et, justement, faire des scènes…

Oui. Ce que j’aime, c’est le changement. Si je suis tout le temps à la campagne, je m’ennuie : quand arrive le mois de novembre et qu’il commence à pleuvoir, à faire nuit à 16h, c’est atroce ! À ce moment-là, j’aime la ville, avec son côté artificiel qui vous embarque… Mais je ne peux pas y rester plus de quinze jours : j’ai besoin de retourner à la campagne ! Je compose partout : au bord de la mer, chez moi à Paris, à la campagne… Y a que sous les tropiques que je me morfonds vraiment ! Je crois savoir que vous venez de Versailles, c’est ça ? C’est une ville que je connais bien : je me promène assez souvent place Hoche, un endroit peu abîmé car protégé… En fait, j’aimerais vivre à Versailles. J’adore l’architecture de ces grandes avenues larges et de ces contre-allées, ces appartements du premier étage qui sont les plus hauts de plafond, le parc du Château, son histoire, les dessins de Le Nôtre, la façon dont Versailles est entretenu – avec le Potager, qui a été refait… Même les statues, quand vient l’hiver, semblent enveloppées d’une manière artistique : c’est magnifique ! J’adore tout : ça me fait rêver, ça me fascine depuis toujours. Il ne faut pas s’arrêter à la réputation de Versailles : une ville où il y a des gens aisés qui portent un jugement un peu simple sur la société, par moment – on dit « les Versaillais » d’une manière péjorative. « Il y a des gens bien partout », comme le dit Jean-Jacques Goldman.

Les années passent, et vous restez pourtant fidèle à l’image du chanteur de variétés françaises qui s’est fait connaître en 1974. Êtes-vous tout de même ouvert à d’autres courants musicaux ?

Chanteur de variétés, c’est une façon de passer ma vie d’une manière fabuleuse. Jouer de la guitare, écrire des chansons, et que les autres les aiment bien, que ça me rapporte de quoi vivre, c’est extraordinaire comme aventure ! Je trouve que j’ai de la chance d’être resté toujours dans la même ligne : je ne suis pas les modes, mais je les écoute – j’aime la musique classique, je voudrais mieux connaître le jazz… – et elles m’influencent. Ce qui m’émeut, c’est l’assemblage des mots et d’une mélodie. Je cherche à mettre en adéquation ma voix, mes paroles et ma musique : parce que, même si on peut toujours s’arranger d’une manière artificielle, tant qu’on n’a pas trouvé le truc qui fait qu’on a l’impression que ça a toujours existé, que c’est facile, limpide, ça ne marche pas. C’est pour ça que je mets beaucoup de temps…

Quelles sont vos sources d’inspiration ? Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ?

Ma maison de disques ! Non… J’aime bien m’enterrer, et puis sortir de mon trou, en faisant des chansons qui vont épater les filles ou les gens… Je me dis : « Ah, ça c’est habile » ou « Ça c’est bien trouvé, c’est sympa », « Ça, ça veut bien dire quelque chose ». J’essaie de me toucher moi-même, de trouver des émotions.

Quel est le secret de vos chansons ?

Il n’y a pas de secret pour une chanson : on rame, on gratte la guitare jusqu’à ce que l’on soit content ! Et puis après, j’essaie tout de suite de trouver des mots qui vont bien avec ma suite d’accords. Il faut que ça me fasse un peu planer, quoi… Je m’émeus tout seul ! Et en même temps, je peux être ému par des âneries, des trucs sans intérêt : donc je demande l’avis de Laurent [Voulzy, ndlr], de ma femme, de mes fils…

Votre inspiration, ce n’est pas l’importance de la Femme dans vos vies intime et professionnelle ?

Dès que j’ai été petit, j’ai rêvé de rencontrer une fille comme dans les contes de fées, qui me trouverait formidable, et que je défendrais contre vents et marées, contre toutes les agressions : voilà, je me voyais en chevalier quand j’avais 8 ans. Après, à la mort de mon père – j’avais alors 15 ans –, je me suis obligatoirement retrouvé dans un univers de femmes. Mais j’ai très rapidement vécu seul… J’ai été attiré par les filles depuis le début comme un protecteur ; ensuite j’avais envie de leur faire des baisers dans les oreilles… Mais j’étais très timide. Des copains m’emmenaient dans les surboums, où je pouvais danser avec elles… De même que toutes les femmes doivent regarder les hommes avec mystère et intérêt, moi je regardais toutes les filles avec mystère et intérêt, en me disant : « Comment ça se fait qu’elles mettent des chaussures comme ça ? » Ce sont des choses qu’on ne peut pas comprendre, nous, les garçons, mais elles mettent quand même des chaussures qui… Ça doit être pour nous énerver !

J’VEUX DU LIVE, D’ALAIN SOUCHON (VIRGIN / EMI, 2002)

Mickaël Pagano, 2002

© PHOTOS : DR, NATHANIEL GOLDBERG / VIRGIN