TONY ALLEN
Hommage
D'un coup de baguette…
Comme on court au plus pressé, je me suis toujours hâté d’écouter religieusement son jeu jamais essoufflé, dépêché d’observer et de comprendre les gestes curieusement tranquilles de son style syncopé.
En ce tout dernier jour d’avril, une fois encore, ma respiration et mes pulsations s’accélèrent tandis que j’apprends la mort de Tony : je n’étais clairement pas préparé à perdre Allen, ni la bonne cadence de ses apparitions.
Cet infatigable sorcier du groove respirait la grâce, la joie de vivre et l’enchantement-même.
Ses baguettes ont tôt obéi à ses doigtés inédits, ployant avec légèreté sous les expérimentations mélodiques et méthodiques pour composer l’afrobeat – mélange hypnotique du highlife africain et de la polyrythmie précisément yoruba avec d’autres influences venues d’outre-Atlantique, le funk et surtout le jazz des idoles mythiques (Max Roach et Art Blakey).
Mais on ne saurait suspendre la carrière et les transes de Tony aux seules deux décennies Fela Kuti, aussi révolutionnaires et prolifiques furent-elles : habile faiseur d’une pluie de coups qui paraient d’un pattern signé et pourtant adéquat chacune des partitions qu’il écrivait (Secret Agent, Film of Life, The Source, parmi ses dernières œuvres) ou qu’on lui proposait, le batteur aura également marqué d’autres courants tels que l’électro et le rock alternatif jusqu’à certains flows du hip-hop. Autant de croisements rarement concertés et de rencontres toujours occasionnelles entre des sourires qui resteront à jamais gravés – notamment sur les disques de Sébastien Tellier (Politics et Confection), AIR (Pocket Symphony), Charlotte Gainsbourg (5:55), Jeff Mills (Tomorrow Comes the Harvest), Susheela Raman (Love Trap), Hugh Masekela (Rejoice), et nombre de projets initiés par son grand ami Damon Albarn (Africa Express, The Good, the Bad & the Queen et Rocket Juice & the Moon, Gorillaz).
C’est l’un de ces heureux hasards qui, il y a déjà un âge de raison, m’aura offert cet infini plaisir d’un bref échange backstage que Tony conclut en me faisant don de sa paire de drumsticks. Magique(s).
Mickaël Pagano, 2020
© PHOTOS : DR, BERNARD BENANT, COMET REC