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THE BEATLES
“SGT. PEPPER’S…”

Et la lumière fut

Vénéré par le monde entier de la musique, signé par la critique comme le meilleur et le plus influent album de tous les temps, le Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles a marqué l’histoire du rock ‘n’ roll et, quarante ans plus tard, continue de faire l’unanimité.
La légende voudrait pourtant nous faire croire qu’il aurait pu en être autrement…

« Rien ne m’a vraiment touché jusqu’au jour où j’ai entendu Elvis. S’il n’y avait pas eu un Elvis, il n’y aurait pas eu les Beatles. » (John Lennon) Mais depuis leurs débuts, les Fab Four entendent bien bouleverser le rock’n’roll, et le King lui-même finit par s’incliner devant le talent et l’offense de ses meilleurs successeurs et détracteurs. En 1966, tout le monde porte le groupe au pinacle sans que la célèbre déclaration : « Nous sommes plus populaires que Jésus désormais » (John Lennon) profane vraiment la « beatlemania » universelle. Journalistes et public croient en une tout autre rivalité : celle qui oppose les « quatre garçons dans le vent » aux Rolling Stones.

En réalité, leur amour-propre musical ne peut être blessé par les bad boys alors dans l’amorce de Their Satanic Majesties Requires, mais plutôt par les blondinets Beach Boys. Car ces derniers glissent sur une vague d’originalité grâce à Pet Sounds (1966), chef-d’œuvre composé en réaction au Rubber Soul (1965) des Beatles, qui répandent entre-temps les singles de Revolver (1966) comme une traînée de poudre dans les charts. L’auteur et bassiste Paul McCartney admire néanmoins le disque de son homonyme Brian Wilson et le confesse timidement : « Ce n’était pas vraiment avant-gardiste, c’était juste de la musique bien faite, de la surf music – mais vocalement et mélodiquement, ça allait un peu plus loin. »

La tête (encore bien-)pensante des Beach Boys souhaite toujours « redessiner la carte de la pop » et envisage l’accomplissement de son art – ou « le meilleur disque de pop jamais réalisé » selon les prédic(a)tions de son attaché de presse – comme une « symphonie adolescente pour Dieu ». Conceptuel voire expérimental, Smile, l’album aux dimensions hors tout (norme, temps) déjà annoncé par des Good Vibrations multi-radiodiffusées, est pour ainsi dire achevé lorsque Brian Wilson abandonne soudain et définitivement toutes ses bandes. Certes usé par son génie incompris, cause et/ou conséquence d’une consommation démesurée de drogues et des contestations continues de la part des membres du groupe, la descente aux enfers (isolement, paranoïa, folie) de Brian Wilson est uniquement engrenée puis inévitablement gangrenée par l’apparition du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, qui devance de peu sa folle ambition.

À l’unanimité, le milieu de la musique reconnaît qu’il y a un avant et un après Sgt. Pepper’s… Pendant, les Beatles sont à leur apogée, enregistrant dans leur studio d’Abbey Road avec les moyens budgétaires et le nombre de séances les plus importants jamais accordés à un groupe. Les Beatles retrouvent une liberté certaine…

D’abord pour se détacher de ce qu’ils représentent aux yeux du monde et « arrêter de tourner pour faire des choses plus abstraites » (Paul McCartney) : les Beatles s’inventent une nouvelle identité, celle du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, une fanfare costumée de style Edwardien qui répond néanmoins à la tendance hippie et au nom à rallonge coutumier de l’époque.

Ensuite parce qu’ils innovent dans l’art et la manière de concevoir leur disque : en imaginant un savoir-faire (coller des bouts de bandes au hasard, ou les lire à l’envers, mixer un orchestre symphonique ou des instruments traditionnels aux leurs), en maîtrisant les difficultés techniques pour créer des procédés inédits (dont le vari speed qui permet de moduler la vitesse de défilement d’une bande, et le reduction mixdown grâce auquel les quatre pistes du magnétophone sont ramenées à une seule pour en générer ainsi trois nouvelles, elles aussi réduites pour en avoir deux supplémentaires, etc.), en laissant George Martin, le producteur de Sgt. Pepper’s…, instituer alors le concept album (soit l’enchaînement de certains morceaux). Bien d’autres inspirations élèvent le Sgt. Pepper’s… des Beatles au plus haut : même le 33 tours et sa pochette font parler d’eux – l’un renferme quelques secondes du sifflement d’une fréquence inaudible par l’homme mais par les chiens (qui aboient sitôt qu’ils l’entendent) avant de délivrer une boucle sans fin gravée sur le sillon intérieur ; l’autre, par l’attention que lui portent les Beatles (c’est notamment la première fois que les paroles y figurent), improvise déjà l’avenir du conditionnement du disque comme un élément tant artistique que marketing.

« We’re Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band / We hope you will enjoy the show »… Mieux : quarante ans plus tard, on se réjouit toujours de vous écouter, John, Paul, George, Ringo. Encore et encore…

 

SGT. PEPPER’S LONELY HEARTS CLUB BAND, DES BEATLES (PARLOPHONE, 1967)

Mickaël Pagano

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