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LE GOSPEL

Il était une foi

Une église scintillante de cierges, une chorale noire de peau et bleue d’étoffe : à ce tableau, il ne manque que les valeurs d’un hymne souriant, Oh Happy Day!, sur nos lèvres, pour pleinement résumer le gospel.
Pourtant, au-delà de quelques images superficielles, le gospel inspire une profondeur universelle : car s’il évoque les sentiments les plus intimes de l’âme, il invoque aussi les souvenirs les plus lointains de la mémoire. Auriez-vous oublié que, comme bon nombre d’histoires, celle du gospel commence par : « Il était une fois… » ?

Il était une fois, donc, un peuple originaire d’Afrique de l’ouest. Déporté dès 1612 sur le continent américain, soumis à un cruel esclavage au cours duquel on lui dénie tout caractère humain, ce peuple noir est dépossédé de tout ce qui peut le rattacher à sa culture, dont l’expression musicale. Pourtant, dans les champs de coton, les captifs délivrent souvent leurs voix et pensées dans des mélodies cryptées telles que les « hollers » (interjections) ou les « worksongs » (improvisations a capella d’un chanteur reprises en chœur).

Autant de prélude aux negro-spirituals qui voient le jour grâce à un mouvement religieux intense, le Great Awakening de 1750 ; les hommes noirs s’éveillent à la connaissance chrétienne de leurs maîtres, lui offrant dans ses prières quelques touchantes traditions d’harmonie (des « blue notes », des effets vocaux) et autres éloquentes habitudes d’encodage.
Ainsi Swing Low Sweet Chariot, célèbre leitmotiv chantant l’histoire d’un chariot venu du ciel pour sauver le croyant et l’emmener à Dieu, est-il en fait destiné à soutenir l’« Underground Railroad », chemin de fer clandestin, et donc secrètement utilisé comme l’annonce d’un convoi en partance pour le nord des États-Unis ou le Canada, Terre promise, entre 1830 et 1860, de près de 60 000 esclaves qui se reconnaissent dans les maux du peuple hébreu détenu en Égypte, épisode de l’Ancien Testament souvent psalmodié dans les spirituals.

À l’aube du XXe siècle, les compositeurs, prêtres et pasteurs convertissent leurs oraisons : délaissant leur crépusculaire procession de souffrances et de difficultés – car l’esclavage est aboli en 1848 –, ils présentent et pressentent désormais les espérances d’un futur proche. La parturition du gospel est alors exaucée, avec la partition de ses antiennes exaltées, plus intime avec Jésus, et l’apparition de ses cantilènes exaltantes dans les offices religieux comme support à l’exultation dans les prêches.
C’est ainsi que les « gospels songs » connurent leur lumineux avènement. Puis, à partir de 1940, en quittant leur dimension liturgique au profit d’une détermination mystique, elles se dispersèrent comme autant de rayons de soleil dans une large diffusion radiophonique et scénique avec des solistes tels que Mahalia Jackson, Thomas A. Dorsey, et des groupes comme le Golden Gate Quartet.

Aujourd’hui, un nouveau chapitre s’écrit : tandis que le « traditional gospel » avait, dit-on, insufflé la vie et la bonne fortune au jazz grâce à sa richesse de blues, le récent gospel contemporain est influencé par les musiques soul, funk, new jack swing, R&B et hip-hop, sa propre descendance. Et outre-Atlantique, là où notre récit a commencé, le sacre de ce style – grâce à Take 6, notamment – est concluant. Encore une histoire qui se finit bien, ma foi…

Mickaël Pagano, 2002

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