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FLORIAN SCHNEIDER
Hommage

Électricité statique

À l’instar d’une centrale électrique dont le bon fonctionnement se résume à la production d’un courant conduit vers des réseaux de distribution, le groupe Kraftwerk a fabriqué de toutes pièces un mouvement électro avant-gardiste mais populaire qui, retransmis à travers le Monde, l’élite et la masse, a su donner l’une des plus grandes impulsions aux domaines de la musique.
Hommage à Florian Schneider, cofondateur de cette étonnante machine, qui vient de s’éteindre.

Au début des années 1970, Kraftwerk a d’abord mis sous tension un duo d’électrons libres : Ralf Hütter et Florian Schneider.
Générateurs visionnaires d’une agitation sonique et pylônes synchrones d’une nouvelle architecture harmonique, en prise directe avec le monde qui les entourait et les éclairait, tous deux turbinaient à reproduire le rythme de leur langue maternelle, les bruits répétitifs de la mécanisation autant que les nouvelles clameurs des révolutions informatique et de l’information.
Dans leur Kling Klang Studio de la région la plus industrielle d’Allemagne, le binôme a pour cela expérimenté des technologies bricolées et modernes, instantanément mises en lumière – Ralf et Florian furent parmi les premiers à transformer les voix avec un vocodeur, à (faire) exécuter et structurer des motifs en boucle grâce aux synthétiseurs et autres boîtes à rythmes. À cette nouvelle forme d’écriture musicale, ils ont ajouté, dans plusieurs langues, le fond de leurs pensées : à la fois un reflet manifeste du quotidien et une certaine idée du futur, soit des leitmotivs minimalistes aux propos souvent lumineux, largement diffusés.

D’ailleurs, au fil des décennies, la résonance de leurs travaux – du conceptuel triptyque au cône de signalisation routière (1970-1973) au Tour de France Soundtracks (2003), en passant par Autobahn (1974), Trans-Europe Express (1977) et The Man-Machine (1978) – fit toujours écho à la fréquence des citations (hommages et/ou emprunts) de Kraftwerk par d’autres artistes, lesquels attirèrent successivement l’attention sur les scènes new wave et hip-hop (dans les années 1980), puis house et techno (dans les années 1990 et 2000).



Mais aujourd’hui, quel chantier sur la terre et sur les ondes ! On entend la rumeur l’alarme à l’œil puis le communiqué officiel comme une décharge émotionnelle : Kraftwerk vient de perdre Florian Schneider, sa moitié fondamentale, originelle.
Celui-ci s’était certes retiré depuis une dizaine d’années du circuit des tournées puis du quatuor iconique, mais il fut à la tête de l’entière direction artistique du groupe, incarnant finalement son image presque à lui seul puisqu’il contrôlait, mais sans diktat – il évoquait en série les styles des suprématistes et constructivistes russes, des futuristes italiens, du Bauhaus et des expressionnistes allemands autant qu’il convoquait en parallèle le talent d’artistes contemporains tels qu’Emil Schult, Karl Klefisch, Günther Fröhling, Rebecca Allen –, les visuels des pochettes de disque et les vidéoclips jusqu’à la conception des fameux ersatz automates, figures androïdes emblématiques qui se substitueront aux membres du groupe désormais dépersonnalisés.

À présent disparu, le Meister technicien, l’instrumentiste multimédia compose une résistance dans la mémoire collective : Florian Schneider demeurera le portrait-robot d’une nouvelle musique, électronique, voire d’un art total dont les œuvres constituent et continuent d’alimenter un patrimoine culturel, en phase avec l’éternité.

Mickaël Pagano, 2020

© PHOTOS : DR, GÜNTHER FRÖHLING, TOM HILL, JEFF KRAVITZ, HUBERT KRETZSCHMAR,
BARBARA NIEMÖLLER, EMIL SCHULT, MAURICE SEYMOUR, JACQUES STARA

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