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On se souviendra...

Archive
« Noise »

Depuis 1996, le changeant Archive marque les mémoires tous les trois ans : avec le trip-hop de Londinium (Island Records, 1996), puis la pop de Take My Head (Independiente, 1999), enfin le rock de You All Look the Same to Me (EastWest / Warner Music, 2002). Et depuis ce dernier enregistrement – entré dans les annales de la musique grâce à Again, morceau d’anthologie d’une durée supérieure à 15 minutes –, le groupe est immuable, préservé et maintenu dans un espace temps de plus en plus court.
Pour mieux entretenir nos souvenirs.

Discotexte : Votre dernier album, Noise (EastWest / Warner Music, 2004), s’ouvre sur l’idée d’un monde oppressant, détestable, et se referme sur le thème de l’Amour. Seriez-vous tiraillés entre espérance et réalité ?

Darius Keeler  : Noise, qui donne son titre à l’album, est la première chanson qu’on ait écrite ; Me & You a été la dernière. Nous préférons commencer par des chansons reflétant plus la colère. L’amour, c’est le pouvoir sur tout, donc c’est normal que cette idée soit à la fin de l’album. C’est ce qu’on voulait, et c’est comme ça que ça marche.

La musique peut-elle alors être considérée comme un refuge ?

Craig Walker  : C’est avant tout un moyen d’expression, bien évidemment. Et c’est toute la folie qu’on a dans la tête et qu’on relâche. C’est donc une sorte de refuge. Quand on est musicien, on se crée un monde dans lequel on existe, un monde dans lequel il est alléchant de rentrer et très difficile de sortir. C’est compliqué… On ne nous a jamais vraiment demandé d’expliquer ce qu’était, pour nous, notre musique !
Darius Keeler : C’est un moyen de payer les factures ! (rires)
Craig Walker : On vit dans un monde différent… Pour être un vrai musicien, il faut vivre ce que tu fais, que tu le respires – c’est le cas de tout ce qui requiert de la passion ! Et ça devient une sorte d’obsession…

Une obsession qui vous pousse déjà à dire que Noise est le meilleur album d’Archive…

Darius Keeler : Tous les albums qu’on a faits, au fur et à mesure, étaient parfaits. Noise est celui qui nous rend le plus heureux.
Craig Walker : Noise est un montage de toutes les précédentes périodes…
Darius Keeler : Selon moi, c’est l’album le plus parfait dans la mesure où c’est celui sur lequel on a vraiment travaillé tous ensemble. On s’est concentrés sur Archive sans aucune autre distraction, en se foutant bien des charts à venir.
Craig Walker : Même si, d’après moi, c’est un album que beaucoup de gens vont adorer. Car chaque chanson est très forte : chacune pourrait être un single ! Ce disque nous a pris du temps : il y a quatre, cinq ou six chansons qu’on a écrites il y a plus d’un an puis laissées de côté, mais sur lesquelles on est revenus par la suite. D’ailleurs, on les aimait encore – et ça, c’est un très bon test ! Encore aujourd’hui, j’écoute l’album comme un fan ! Et vocalement parlant, c’est le meilleur auquel j’ai jamais participé – et pourtant, je fais de la musique depuis très longtemps ! –, parce qu’on a expérimenté et utilisé ma voix comme on ne l’avait jamais fait auparavant, parce que j’étais assez confiant pour le faire. Oui, personnellement, je pense que c’est un grand album…

Et comment définiriez-vous votre style, votre son ?

Craig Walker : C’est la combinaison des influences et des passés de trois personnes. On écoute… – ah ! quel enfer pour décrire !
Darius Keeler : On peut parler évidemment de musique progressive… Mais c’est avant tout émotionnel !

Archive est très proche de la musique de films, avec des morceaux évoquant toujours une scène cinématographique. Vous avez même fait appel à Graham Preskett, un expert en arrangements de bande originale de film. C’est une ambiance à laquelle vous travaillez, n’est-ce pas ?

Darius Keeler : C’est comme quand j’étais petit et que sont apparus les walkmans : on a pu se balader avec de la musique plein les oreilles… Dès lors, la musique s’est de plus en plus rapprochée du cinéma…
Craig Walker : Il y a beaucoup de « mouvements » dans la musique, et c’est donc très évocateur de l’image. Fermez les yeux… C’est sûr, vous verrez les images défiler dans votre tête !
Darius Keeler : C’est très excitant de voir les images que notre musique a inspirées, puisque c’est pour ça qu’on fait notre musique. En fait, quand on bosse sur un clip, on dit juste ce qu’on veut, de quoi parle l’album. Et on laisse la créativité et l’imaginaire du réalisateur agir. En général, on est plutôt chanceux : tout se combine parfaitement grâce à une équipe douée qui travaille régulièrement avec nous.

« La musique est avant tout un moyen d’expression. C’est toute la folie qu’on a dans la tête et qu’on relâche.
Quand on est musicien, on se crée un monde dans lequel on existe, un monde dans lequel il est alléchant de rentrer mais très difficile de sortir. »
Craig Walker

Craig Walker : L’an dernier, on a fait une BO pour une production de Luc Besson [le film Michel Vaillant (EuropaCorp, 2003), de Louis-Pascal Couvelaire, adapté de la bande dessinée de Jean et Philippe Graton, ndlr] : c’était bien… Ça s’est si bien passé qu’on a même sorti deux disques, au final !

Certains détracteurs vous reprochent de trop fouiller le passé – certainement à cause de votre nom. Qu’en pensez-vous ?

Craig Walker : On a tous des influences différentes. C’est sûr que les sixties et les seventies ont été des périodes incroyables pour la musique. De telles périodes ne se répéteront plus !
Darius Keeler : Beaucoup de nouvelles formations essaient d’imiter les vieux groupes : The White Stripes, The Strokes… Ils font de la musique des années 70 ! Mais ils sont très immatures ! En ce qui nous concerne, avec Again [premier single du précédent album, You All Look the Same to Me, ndlr], les gens avaient du Pink Floyd dans les oreilles. Effectivement, le point de départ était certainement cette ambiance ; mais en utilisant des samples, en transformations les tonalités, les sons, on crée du neuf puisqu’on a des moyens et des possibilités que les Pink Floyd n’avaient pas à l’époque. Et certainement, sans l’influence de Pink Floyd, on n’aurait pas écrit Again ! C’est bizarre, mais c’est plutôt cool !
Craig Walker : On dit souvent d’Archive que c’est de l’imitation. C’est faux : c’est une évolution. Après le disco, la dance et d’autre genres de musiques encore, on pourrait dire que tout a été fait, que tout a été expérimenté. Tout ce à quoi on aspire, c’est faire preuve d’originalité. Et tout influence notre musique : ce qu’on vit, ce qu’on entend, ce qu’on voit sur un écran… D’ailleurs, on regarde plus de films qu’on n’écoute de musique ! Mais c’est une part si infime de nos influences !

D’autres vous rapprocheraient plus de Radiohead… Vous n’avez pourtant ni leur carrière ni leur public. Comment l’expliquez-vous ?

Darius Keeler : Tout dépend de la façon qu’on a de nous comparer à eux. Parce qu’au niveau de la composition et de la cohésion de l’équipe, nous sommes beaucoup plus récents que Radiohead. Noise serait notre deuxième album, et correspondrait alors à leur The Bends (Parlophone, 1995). De plus, pour nos deux premiers albums, ça s’est passé de la manière suivante : on faisait un disque, on le sortait, et puis le groupe se séparait… Impossible d’amener l’album jusqu’au public !
Craig Walker : C’est pourquoi dès le « départ » – mon arrivée, donc –, partir en tournée nous a semblé primordial. Le contact avec le public se fait à travers l’album qu’on crée en studio et la tournée qui l’accompagne.
Darius Keeler : Nous, ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce n’est pas la pub mais notre harmonie…
Craig Walker : On aime tous beaucoup Radiohead. Ils jouent le jeu et ne la ramènent pas trop – ils n’ont pas besoin d’être dans les journaux tout le temps… Et quand ils rentrent chez eux, ils vivent une vie normale…

Archive ne s’attache donc pas aux « modes » musicales…

Craig Walker : Non. C’est très dangereux d’être impliqué dans une mouvance, car quand tu n’es plus d’actualité, tu disparais. De l’époque de Blur, il ne reste quasiment qu’eux, alors qu’il y avait tant de groupes de pop et new age énormes derrière eux !
Darius Keeler : Regarde Pulp : en Angleterre, ils avaient énormément de succès ; et maintenant, plus rien ! On ne les voit plus !

Et sur scène ? Va-t-on encore vous comparer à Pink Floyd ; les sons et lumières d’Archive seront-ils un jour aussi célèbres ?

Darius Keeler : En fait, on aimerait bien avoir l’argent de Pink Floyd pour que ce soit le cas ! (rires) On aimerait vraiment arriver à ce niveau de mise en scène, mais on ne sait pas trop comment faire ! Personnellement, ce que je préfère dans un concert, c’est quand même l’émotion dégagée par le groupe, sa performance. Dès qu’il y a trop de choses, trop de lumières, trop d’artifices, le spectacle peut devenir ennuyeux.
Craig Walker : On a en projet, pour la prochaine tournée, un show utilisant des techniques très avancées… En jouant avec les lumières, la pixellisation des images… C’est très excitant ! Mais en tant que musicien, c’est plutôt compliqué de s’investir dans ce genre de choses…

Il ne vous reste donc qu’à vous concentrer sur vos tenues de scène !

Craig Walker : Bien sûr ! C’est super important ! Sur notre dernière tournée, on portait des costumes tout le temps. Même pendant la promotion de l’album. Dès qu’on passait nos costumes, c’était le moment d’aller bosser !
Darius Keeler : C’était un style. Jeune, dans l’esprit.
Craig Walker : Et puis ça nous permet d’être un groupe uniforme : sur scène, sept musiciens, et pas un qui soit fagoté comme un as de pique ! Tous beaux ! L’image, c’est vraiment très, très important. On veut vraiment développer ça sur les prochaines tournées.
Darius Keeler : Quand je repense à nos débuts… On n’avait pas un sou… Pour monter sur scène, on s’habillait avec un pauvre costume noir…
Craig Walker : En général, on fait toujours des efforts. Comparé à tous ces autres groupes qu’on pourrait confondre avec leur public ! Cette « démarche », ça ne me plaît pas du tout ! C’est vrai, à quoi ça sert si les pop stars ressemblent à tout un chacun ? Pour Archive, c’est agréable de s’impliquer un peu plus dans son image. Même si ce n’est pas évident.

Et quelle image du groupe souhaitez-vous donner aujourd’hui ? Depuis ses débuts, Archive semblait être une formation instable, insaisissable, tant dans sa musique que dans sa composition ; et voilà qu’en trois ans vous réalisez trois voire quatre albums dans une cohérence et une cohésion parfaites. Auriez-vous d’ores et déjà d’autres projets, et toujours tous ensemble ?

Craig Walker : Oui. On travaille déjà sur le prochain disque depuis le mois de janvier… On aimerait collaborer avec d’autres personnes, éventuellement sur le plan production de l’album… Mais pour l’instant, on se concentre sur la tournée à venir ! On n’en dira pas plus…

NOISE, D’ARCHIVE (EASTWEST / WARNER MUSIC, 2004)

Mickaël Pagano, 2004

© PHOTOS : DR, JAMIE BEEDEN